Je composte.

Voilà, c’est dit. Je crois au compost. Le recyclage, moins : quand on sait que ce qu’on recycle se ramasse souvent brûlé en Inde ou dans les dépotoirs, je crois assez peu au recyclage.

Mais In compost, I trust, pour paraphraser le motto national des États-Unis. Le compost est l’incarnation du « rien ne se perd, rien ne se crée » : on utilise la matière organique pour faire pousser des fruits et des légumes, même s’il peut y avoir des problèmes logistiques ponctuels1.

Je ne dois pas être le seul à composter, car je me suis fait voler mon bac brun !

Et quand j’ai appelé le 311 pour en commander un autre, je me suis dit que la Ville de Montréal ne niaiserait pas avec le puck, au vu d’une variable importante : à Montréal, il est obligatoire de mettre ses déchets de table au compost.

En effet, si un inspecteur des vidanges (ça existe) découvre une aile de poulet dans mon sac vert (et qu’il parvient à relier ledit sac vert à mon adresse), je suis passible d’une amende.

Donc, me suis-je dit : la Ville de Montréal va s’empresser de venir déposer un bac brun devant ma porte, ne serait-ce que pour assurer le salut de la planète, salut qui est, comme chacun le sait, une priorité de l’administration municipale actuelle.

J’ai donc appelé le 311 de la Ville de Montréal. J’ai commencé par donner une description du bac disparu : couvercle légèrement déjanté dont le coin nord-est a été rongé par un de ces rats en habit de soirée2 qu’on appelle « écureuils » et, écrite au Sharpie noir sur la bande blanche prévue à cet effet, mon adresse flanquée d’un bonhomme sourire…

Mais tragiquement, aucun bac brun correspondant à cette description n’avait été repéré par la Ville de Montréal.

Bon, c’est la mort dans l’âme que j’en commande un autre, mon brave, ai-je dit au préposé sur un ton guilleret qui se voulait complice. Le vaillant employé municipal a entré ma demande dans la tout aussi vaillante machine municipale et m’a donné un numéro de dossier, 2321XXX…

Bref, entre-temps, j’ai commencé à squatter les bacs bruns de mes voisins, dans lesquels je planque furtivement mon sac de compost, les jours de collecte.

Mais des fois, mon sac à compost déborde deux, trois jours avant la collecte. Et des fois, le congélateur déborde. Je ne peux pas toujours y entreposer les déchets de table, merci pour la suggestion…

Cette semaine, j’ai ouvert machinalement la porte d’entrée, j’ai mis un pied sur le balcon, pensant y trouver mon bac (voyez comme je suis conditionné au compost), pour réaliser que, ben non, il m’a été volé plus tôt cet hiver…

Et je me suis dit : coudonc, ça fait combien de temps que j’ai appelé la Ville pour en commander un neuf ?

Ma voix intérieure a chuchoté dans mon oreille : C’était il y a un mois…

J’ai ouvert mon téléphone, je me souvenais d’y avoir consigné mon numéro de dossier…

C’était le 29 janvier !

Là, je dois vous le dire, je me suis dit : Coudonc, est-ce que la Ville de Montréal veut vraiment sauver la planète ?

J’ai appelé au 311 où un autre vaillant préposé a pitonné dans sa machine pour me lire un message qui m’expliquait qu’un projet pilote de micropuçage des bacs bruns était en cours et que ceci expliquant cela, certains délais étaient à prévoir…

Mais quand même : deux mois…

« Je vais le recevoir quand, donc ?

– Aucune idée.

— Que dois-je faire avec mon compost, mon brave ?

— Malheureusement, m’a répondu le préposé, la note ne fait pas mention d’un plan B. »

Mais le préposé, incarnation vivante du concept le plus à la mode dans les organisations publiques et privées (l’agilité organisationnelle), a tout de suite improvisé un plan B pour moi :

« Vous pourriez mettre le compost dans votre sac à déchets.

— Euh, je serais passible d’une amende, monsieur !

— Pas nécessairement, puisque vous n’avez pas le choix ! »

J’ai imaginé l’inspecteur des vidanges découvrant une aile de poulet dans mon sac vert : comment pourrait-il savoir que celui qui avait mangé l’aile de poulet (moi) l’y avait déposée parce que son employeur (à l’inspecteur) ne m’a toujours pas livré un bac brun, deux mois après ma demande ?

Bon, trois observations sur ce feuilleton…

Un, je me demande si je vais recevoir un bac brun neuf – et micropucé ! – avant que Harvey Weinstein ne sorte de prison.

Deux, toutes les fois où j’ai oublié de déplacer mon véhicule dans ma rue pour les deux heures d’interdiction de stationnement hebdomadaires nécessaires au nettoyage de la chaussée, j’ai reçu une contravention de la part de l’agent de stationnement qui suit la balayeuse de rue. J’insiste : toutes les fois.

Trois, après la fin de mes rénovations, un inspecteur de la Ville m’a très, très rapidement contacté pour établir la nouvelle valeur de la maison. Cette nouvelle valeur fut fidèlement et prestement ajustée sur mon « compte de taxes », lequel est miraculeusement parvenu dans ma boîte aux lettres sans que j’aie à appeler le 311, dans une démonstration émouvante d’agilité organisationnelle municipale.

Constat : quand la Ville peut faire un dollar, elle est diablement plus efficace que quand elle doit en dépenser un.

Entre-temps, je crisse mon compost aux vidanges en m’assurant qu’aucun document portant mon adresse ne puisse me relier auxdites vidanges.

1. Lisez notre dossier « Va-t-on crouler sous nos ordures ? »

2. Crédit pour cette image : Marie-France Bazzo