Si le gouvernement Legault est encore enthousiasmé par le troisième lien Québec-Lévis, il le cache bien. Tout se passe comme s’il attendait que le projet s’écroule sous son propre poids.

De façon officielle, les caquistes veulent encore foncer. Mais ils semblent y croire de moins en moins.

Mercredi, le chef libéral intérimaire Marc Tanguay a dit tout haut ce que plusieurs observateurs pensent : le projet ne se fera jamais.

On dirait que les caquistes laissent le temps faire son œuvre. Qu’ils laissent la population faire lentement son deuil pendant qu’ils cherchent un parfait coupable à qui attribuer le décès.

Des coupables, en fait. Les projets meurent rarement d’une cause unique. J’en vois quatre : l’explosion des coûts, le refus du fédéral de le financer, les études défavorables pour l’environnement et la santé publique et le manque d’alliés.

Aucun expert en urbanisme ou en planification des transports n’appuie le projet. Aucun. Et à Québec, des alliés traditionnels déchantent. Il y a quelques jours, l’animateur radio Jérôme Landry perdait la foi. « Je ne fais plus partie de la mascarade », lançait-il récemment au 93,3 FM. Il juge le projet irréalisable1.

Si les caquistes y mettent fin, le prix politique à payer à l’Assemblée nationale sera gérable. Les libéraux, péquistes et solidaires sont contre. Seuls les conservateurs y rêvent encore, avec un pont qui ferait un détour par l’île d’Orléans pour la défigurer.

Il reste que pour les caquistes, rien ne presse. Plus le décès arrive tard, mieux ce sera pour eux. On risque d’entendre de plus en plus de déclarations comme celle du ministre de l’Environnement Benoit Charette, qui a lancé au début mars ce spectaculaire euphémisme : le projet n’est pas encore « ficelé ».

Le tunnel est dans la phase dite de « planification ». Un dossier d’affaires doit être présenté. Il contiendra une estimation de coûts. Le Conseil des ministres devra ensuite donner le feu vert pour passer à l’étape suivante, celle de la réalisation.

Tout indique que les coûts vont exploser pour deux raisons : l’inflation et le refus d’Ottawa de le financer à 40 %.

Le fédéral payerait seulement pour le transport collectif. Pour le tunnel, cela équivaut à deux voies réservées à temps partiel aux autobus. Bref, pas grand-chose.

Officiellement, le gouvernement Legault y croit encore. Des ministres de la région comme Geneviève Guilbault, Éric Caire et Jonatan Julien y jouent leur crédibilité. Mais en privé, je doute que des poids lourds comme Christian Dubé, Eric Girard et Pierre Fitzgibbon soient emballés par ce projet lancé sans définir les besoins, sans évaluer les solutions, sans plafonner les coûts et sans se soucier des impacts environnementaux.

D’autant plus qu’une nouvelle tuile vient de tomber sur le projet.

La Santé publique de Québec met maintenant en garde contre les risques d’asthme et de maladies pulmonaires qui seront générés par les voitures – y compris les modèles électriques – dans la basse-ville2.

Tout ça pour régler un problème de congestion qui n’a pas été documenté, avec une solution qui elle-même n’a pas été comparée aux autres options. Ce serait drôle si ce n’était pas le projet en infrastructures le plus coûteux du Québec.

M. Legault devra réfléchir à sa fameuse « réserve de courage ».

L’expression sert surtout à parler des batailles que le premier ministre veut mener. Mais elle implique aussi qu’il doit en abandonner d’autres pour ne pas brûler son « capital politique ». À quel point tient-il à ce bitube sous-fluvial ?

Je le devine tiraillé.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

D’un côté, par orgueil, le premier ministre ne veut pas trahir sa promesse. De l’autre, il doit être épuisé de se faire questionner sans avoir de réponse satisfaisante. « J’ai dit ce que j’avais à dire », s’exaspérait-il lors de la dernière campagne électorale. S’il avait peu de choses à ajouter, c’est justement parce que l’argumentaire du projet est mince comme une feuille de papier.

La fameuse étude promise l’automne dernier a été reportée à plusieurs reprises. La nouvelle échéance : fin avril. Si les conclusions étaient si positives, elles seraient déjà connues.

Ce gouvernement ne s’apprête pas à creuser un trou. Il voit bien que c’est son propre trou qu’il risque de creuser.

Au cours de l’hiver, La Presse a révélé que pour la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et la reconstruction du pont de l’Île-aux-Tourtes, la facture avait respectivement bondi de 55 % et de 45 %. L’inflation n’épargnera pas non plus le troisième lien, a avoué en février le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien.

Dans le budget déposé mardi, les dépenses en infrastructures bondissent. Les maisons des aînés coûtent plus cher que prévu, la construction et la rénovation des écoles aussi, et le gouvernement rétrécit le projet de la modernisation tant attendue de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Face à ces besoins, le troisième lien ne fait pas le poids.

M. Legault veut-il vraiment que son héritage soit entaché par un projet si contesté ?

Québec dévoilera bientôt sa très attendue politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. Comment pourra-t-on prétendre lutter contre la crise écologique en engloutissant des milliards dans un projet favorisant l’auto solo et l’étalement urbain ?

Vrai, le pont de Québec et le pont Pierre-Laporte vieillissent vite. Mais on peut aussi y voir une raison d’entretenir le réseau existant au lieu de l’agrandir.

Vrai aussi, les entrées des ponts sont congestionnées. Mais il existe des solutions moins coûteuses, comme réaménager les tronçons aux rives. Et on pourrait créer une voie au milieu du pont Pierre-Laporte qui changerait de direction selon l’heure de la journée.

Les autres partis ont évolué. Les libéraux, péquistes et solidaires proposent respectivement un tramway, un train léger et un service rapide par bus. Seuls les caquistes et les conservateurs vendent encore le rêve automobile, peu importe le prix. Ils feraient exactement ce qu’ils reprochent à la gauche : dépenser sans compter.

Le gouvernement caquiste commence sûrement à faire des calculs autant financiers que politiques. Jusqu’où s’entêter avec ce bitube sous-fluvial ? La réponse ressemble à ceci : aussi longtemps que nécessaire pour trouver le bon coupable.

1. Écoutez l’intervention complète de Jérôme Landry au 93,3 FM 2. Lisez l’article « La Santé publique veut moins de routes à Québec »