Le toit coule à l’hôtel de ville de Rimouski.

À chaque redoux, des employés municipaux doivent installer des seaux pour recueillir l’eau qui s’infiltre par la vieille toiture en tôle.

Sans blague.

Les professionnels de la Ville ont fait une analyse détaillée des coûts de remplacement. Prix estimé : 1 million.

Comme il se doit dans le monde municipal, un appel d’offres a été lancé. Seules deux entreprises y ont répondu. Le plus bas soumissionnaire proposait d’accepter le contrat pour 1,8 million… 80 % de plus que le budget prévu.

Trop cher pour la ville du Bas-Saint-Laurent. Retour à la case départ. Deuxième appel d’offres. Cette fois, trois soumissionnaires. Et une facture supérieure de presque 100 000 $ à la première fois.

« Il faut faire les travaux, on est rendus à un point critique », m’a raconté le maire de Rimouski, Guy Caron.

La Ville paiera le gros prix, et devra sans doute reporter d’autres travaux pour éponger le surcoût.

Inflation, pénurie de main-d’œuvre, entrepreneurs débordés… On entend le même refrain partout dans la province depuis le début de la pandémie.

Pour la première fois, l’explosion des coûts de construction dans les villes a été chiffrée, décortiquée, dans le cadre d’une étude commandée par l’Union des municipalités du Québec.

J’ai pu la consulter en primeur et les constats sont frappants.

En moyenne, les 81 villes sondées ont observé une hausse de 11 % à 30 % des coûts de construction depuis un an, tous types de projets confondus.

Dans certains cas, c’est plus de 50 %.

Huit municipalités sur dix ont dû reporter ou annuler des projets en raison du prix trop élevé des soumissions reçues ou de l’absence totale d’entreprises intéressées.

On parle ici tant de réfection d’infrastructures existantes, comme des routes, des réseaux de distribution d’eau ou des bâtiments municipaux, que de constructions neuves comme des parcs, des bibliothèques et même des feux de circulation.

Les choix, souvent, sont déchirants.

À Sherbrooke, un projet incarne tristement la situation actuelle : celui de la piscine À-la-Claire-Fontaine, située dans un quartier assez défavorisé.

Le bassin construit en 1977 s’était à ce point fissuré qu’il fallait rajouter six pouces d’eau (froide) et d’importantes quantités de produits tous les jours, me raconte la mairesse Évelyne Beaudin. 

La piscine, devenue inutilisable, a dû être fermée. Les experts de la Ville ont conçu un projet de remplacement, évalué à 6,4 millions. Pas des pinottes pour la plus grande municipalité de l’Estrie.

« Cette année, 6,4 millions, c’est le plus gros investissement sur tout notre territoire », souligne la mairesse.

Vous devinez la suite.

Le plus bas soumissionnaire est revenu avec un prix de 9,5 millions, 50 % de plus que prévu.

Sherbrooke s’est retrouvée devant deux possibilités : abandonner le projet, et priver toute une population d’un loisir abordable, ou revoir ses plans à la baisse.

La Ville a fini par rogner sur tous les aspects de son complexe aquatique. Elle a fusionné deux bassins et éliminé certains éléments comme les toboggans pour les enfants, évalués à 200 000 $. « C’est ce qui nous a fait le plus mal au cœur, les toboggans », me confie la mairesse.

La piscine sera plus petite et livrée plus tard que prévu, mais elle coûtera quand même 1,4 million de plus que le prix de départ.

L’inflation se fait sentir partout ailleurs dans les dépenses de la Ville. Le prix des sels de déglaçage a bondi de 56 %, celui des véhicules de patrouille, de 27 %, et celui de l’hypochlorite de sodium, utilisé pour purifier l’eau potable, de 90 %… 

L’administration cherche les économies dans les moindres recoins de son budget, me dit Évelyne Beaudin. « On coupe sur tout, en ce moment, rien n’est épargné. »

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Les villes du Québec le répètent sur tous les tons et sur toutes les tribunes : elles n’arrivent plus à financer leurs services avec leurs sources de revenus actuelles.

Le point de rupture est tout proche, s’il n’est pas déjà dépassé.

Les municipalités misent gros sur la renégociation imminente du « pacte fiscal » avec Québec pour avoir accès à de nouvelles sources de revenus, elles qui comptent principalement sur l’impôt foncier pour se financer.

Les villes espèrent aussi certains allègements réglementaires, qui pourraient faciliter les négociations – et adoucir un peu la facture – dans les appels d’offres publics.

On en apprendra peut-être un peu plus sur les intentions du gouvernement Legault au sujet de la crise des finances municipales, dans le budget qui sera présenté ce mardi. Il est minuit moins une.

Montréal a déjà ouvert son jeu la semaine dernière. Face à un trou de 200 millions dans son budget, la métropole envisage une série de nouvelles taxes, notamment sur les déplacements en voiture et les logements vacants. D’autres villes caressent des idées similaires.

Ça va grincer de tous bords tous côtés.

Les citoyens déjà surtaxés n’accepteront pas ces propositions avec le sourire, surtout si la qualité de leurs services continue de décliner.

Les discussions des prochains mois autour du pacte fiscal pourraient engendrer un clash social.