Le centre-ville de Montréal devrait-il avoir son propre maire d’arrondissement, comme Rosemont ou le Plateau, ou plutôt être dirigé de facto par la mairesse ou le maire de la métropole ?

Cette question, en apparence très technique, fera l’objet d’une consultation jusqu’à la fin du mois de mars.

Les conclusions pourraient avoir un impact considérable – et bien concret – sur la façon dont sera géré le cœur économique de Montréal pour les années à venir.

Permettez-moi ici un bref retour en arrière.

Tout le monde se souvient des fusions municipales de 2002, et des défusions qui ont suivi en 2006. Cet exercice a transformé l’île de Montréal en une courtepointe d’arrondissements et de villes indépendantes, dont plusieurs fils dépassent encore aujourd’hui 1.

Les arrondissements sont dirigés par un maire élu au suffrage universel. Tous, sauf celui de Ville-Marie. L’ex-maire Gérald Tremblay avait demandé – et obtenu – que Québec change les règles de gouvernance pour les élections de 2009, après une dispute avec l’ancien maire local, Benoît Labonté.

Depuis ce temps, le maire (ou la mairesse) de Montréal contrôle automatiquement les quartiers centraux de la métropole.

Avec ses 105 000 habitants, l’arrondissement de Ville-Marie est le plus névralgique de Montréal.

Le plus hétérogène, aussi.

Il comprend le centre-ville, le Village, le Vieux-Montréal, plusieurs quartiers résidentiels, trois universités, une partie du mont Royal et le parc Jean-Drapeau. C’est un aimant extraordinaire pour les investissements, comme en témoignent tous ces gratte-ciel en construction, et un déversoir pour la détresse humaine, comme on peut le voir autour de Berri-UQAM.

Les décisions qui se prennent dans cet arrondissement – le poumon économique du Québec – peuvent avoir un impact majeur sur toute la région métropolitaine, voire au-delà.

Dans ce contexte, il me semble tout à fait logique que la mairesse de Montréal ait l’autorité sur le cœur de la métropole.

Mais tous ne voient pas la chose du même œil.

De nombreux citoyens jugent que cette situation cause un important « déficit démocratique ». Ils voudraient avoir leur propre maire local et davantage de conseillers municipaux élus.

Projet Montréal, le parti de Valérie Plante, avait promis pendant sa campagne électorale de 2017 de s’attaquer à ce dossier. Il a tenu parole. La Ville a mandaté un comité d’experts en 2021 pour creuser la question, sous la supervision de l’Institut du Nouveau Monde.

Le groupe a pondu un rapport qui contient trois scénarios pour Ville-Marie2.

En gros, le premier scénario maintiendrait la mairesse de Montréal comme responsable de l’arrondissement. Dans le deuxième, elle resterait aussi à la tête de Ville-Marie, mais nommerait un maire désigné qui s’occuperait des dossiers de proximité. Dans le troisième, un maire local serait élu au suffrage universel.

Dans tous les cas de figure, deux conseillers municipaux seraient élus dans chacun des trois districts de Ville-Marie, plutôt qu’un seul. Cela changerait la donne par rapport à la situation actuelle, où la mairesse de Montréal désigne deux conseillers qui lui donnent automatiquement une majorité en cas de différend.

J’ai parlé mercredi avec Louise Harel, l’ancienne ministre péquiste qui a piloté les fusions municipales au tournant du millénaire. Elle siège aussi au comité d’experts qui a élaboré les trois scénarios potentiels pour Ville-Marie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louise Harel, en 2013

Si elle juge « essentiel » qu’il y ait davantage de conseillers municipaux élus dans chaque district, elle se montre beaucoup moins favorable à l’élection d’un maire distinct pour l’arrondissement.

« On peut s’acheter vraiment du trouble à moyen ou à long terme », croit-elle.

Je suis d’accord.

En ce moment, le parti de Valérie Plante est en bonne posture. La mairesse dirige la ville-centre, bien sûr, mais elle a aussi été élue dans le district de Sainte-Marie, qui fait partie de l’arrondissement de Ville-Marie. Elle connaît très bien le terrain et les enjeux locaux. Projet Montréal tient fermement les rênes du pouvoir.

Le vent pourrait tourner – il finit toujours par tourner.

Si les citoyens de Ville-Marie choisissaient d’élire un maire distinct de celui de la ville-centre, la bisbille pourrait se réinstaller. Surtout si ce maire local appartient à un autre parti, comme cela s’est vu sous Gérald Tremblay.

L’arrondissement pourrait dire « jaune » quand la ville-centre dit « vert », et faire parfaitement à sa tête dans plusieurs dossiers.

Pas de nature à aider le cœur de la métropole, qui sera confronté à une série de problèmes existentiels dans les prochaines années, avec la montée du taux d’inoccupation dans les bureaux et l’explosion des troubles sociaux comme l’itinérance et la toxicomanie.

« Il faut une harmonie, dans le contexte où les rivalités sont entre les grandes villes du monde, et non pas à l’intérieur des villes », résume Louise Harel.

***

L’administration Plante est consciente des écueils potentiels liés à sa consultation citoyenne, mais elle tient à respecter sa promesse de 2017.

Robert Beaudry, l’élu responsable de l’urbanisme, de la participation citoyenne et de la démocratie au comité exécutif, juge très « sain » l’exercice qui se déroule en ce moment. Son parti tient à entendre les citoyens plutôt que d’imposer « unilatéralement » un changement à la gouvernance de Ville-Marie, me dit-il, comme cela avait été fait en 2009.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Robert Beaudry, élu responsable de l’urbanisme, de la participation citoyenne et de la démocratie au comité exécutif de Montréal

Il faut tout de même souligner que cette consultation prend une forme assez particulière. Les résidants de Ville-Marie peuvent remplir un questionnaire en ligne d’ici à la fin du mois, et deux « ateliers de discussion » auront lieu les 18 et 23 mars.

Certains auraient préféré que la démarche soit encadrée en bonne et due forme par l’Office de consultation publique de Montréal, plutôt que par l’Institut du Nouveau Monde. Des réserves bien compréhensibles.

Le rapport final de cette consultation sera déposé l’été prochain et les changements à la structure électorale, s’il y en a, pourraient être mis en place dès les prochaines élections.

On pourra juger l’arbre à ses fruits.

Dans tous les cas, on pourrait difficilement reprocher au parti de Valérie Plante de respecter un engagement électoral. Surtout après avoir vu François Legault et Justin Trudeau renier tous deux leurs promesses de réformer le mode de scrutin, à Québec et à Ottawa.

1. Lisez « Vingt ans plus tard : l’impossible bilan des fusions municipales » 2. Consultez le rapport Consultation sur la structure électorale de l’arrondissement de Ville-Marie