Ce qu’on sait pour l’instant sur le drame de Rosemont dans lequel trois personnes sont mortes poignardées, on le doit aux journalistes qui ont réussi à grappiller ici et là quelques miettes d’information de proches atterrés.

Le suspect, Arthur Galarneau, avait des problèmes mentaux, dont on ne connaît pas la nature. Il prenait des médicaments. Ses problèmes remontaient à un jeune âge. À l’adolescence, il était sujet à faire des crises.

Une travailleuse sociale le visitait de temps à autre à son appartement, dans le sous-sol du duplex familial.

La famille était mobilisée et aimante, elle entourait et épaulait le jeune homme.

Un ami a témoigné d’un isolement du suspect, ces derniers temps.

Dans une vidéo disponible sur son compte Instagram, Arthur Galarneau disait il y a cinq semaines avoir amorcé des changements dans sa vie. Il ambitionnait de faire plus de sport, disait avoir arrêté le « weed », le pot. Il disait avoir vécu « de la bullshit » depuis deux ans.

Je le cite : « Genre, de ressentir d’être heureux, c’est comme un pas dans le vide. Faque je le sais pas, c’est quand même épeurant de redevenir heureux. »

Cinq semaines après la publication de cette vidéo, Arthur Galarneau était accusé d’avoir commis un carnage.

Bien sûr, il faut plus de services de soins en santé mentale. C’est le mantra, après chacune de ces tragédies : Il faut plus de services.

L’enquête nous révélera (ou pas) si le jeune homme de Rosemont avait suffisamment de soins de santé mentale.

Mais j’aimerais dire, aussi, que ce qu’on appelle « les soins de santé mentale », c’est un très, très large spectre. Ça veut tout dire et ça ne veut rien dire, des fois.

La santé mentale, c’est aller voir un psychologue parce qu’une peine d’amour nous met devant nos échecs de vie.

C’est être plombé par un trouble anxieux et parfois paralysant.

C’est subir une dépression avec pensées suicidaires.

C’est un trouble de personnalité limite qui nous empêche souvent de fonctionner en société.

C’est aussi vivre avec la schizophrénie et des risques de psychoses qui vous mettent à risque.

Bref, la santé mentale, c’est un très large spectre qui commande des diagnostics et des traitements fort différents, selon les individus.

J’aimerais montrer un angle mort de la discussion, qui va au-delà d’« il faut plus de services de soins en santé mentale ».

Ça fait quelques années que je me penche sur la santé mentale. J’ai mille fois écrit et dit que le système est plein de trous.

Au fil des années, je me suis penché sur trois types de situations, grosso modo.

Un, l’accès ardu aux soins de psychologues. C’est cher, la thérapie, si on n’a pas accès à un régime d’assurances privées. Et c’est dur de trouver un psy, vu la pénurie.

Deux, la difficile prise en charge hospitalière quand une personne a des comportements et des pensées suicidaires. Cas classique : une personne menace de se suicider, sa famille paniquée la convainc de se rendre aux urgences…

Où on lui donne une pilule et des brochures pour contacter un organisme communautaire.

Et quelques jours plus tard, la personne se tue.

Trois, une personne souffrant de schizophrénie qui refuse de se soigner, qui multiplie les comportements inquiétants et violents. Un nom : Frédérick Gingras. En 2016, après avoir été arrêté cinq fois par la police dans des villes différentes, cet homme a tué deux personnes en plus d’en blesser d’autres dans une cavale psychotique meurtrière à Montréal.

Sa mère dira, après le carnage : « Mon fils est malade. Il devrait être en institution depuis longtemps. Ce n’est pas normal de l’avoir laissé dehors. »

Ce troisième cas de figure est un cauchemar qui garde les proches dans une sorte de terreur perpétuelle. Imaginez : vous aimez votre fils et vous voulez l’aider…

Mais il refuse de se soigner… Comme il en a le droit.

Il ne croit pas aux médicaments, pense que tout le monde est malade… Sauf lui.

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai écouté des familles me raconter ce cauchemar. Un cauchemar qui ne finit bien sûr pas tout le temps par un meurtre. Mais un cauchemar quand même, qui peut être ponctué de violence.

Et si le malade est menaçant, s’il tient des propos inquiétants, la police ne peut pas toujours intervenir avant qu’un geste dangereux soit commis.

Ça s’appelle une « autorisation judiciaire de soins » : c’est quand on force une personne à recevoir des soins.

C’est difficile à obtenir. Les familles qui veulent y avoir recours doivent s’armer de patience et de volonté. Les psychiatres qui s’engagent dans le processus le trouvent souvent frustrant : c’est long, ardu, et une fois devant le juge, celui-ci a une « compétence » pour évaluer la dangerosité du patient…

Et, bien souvent, les juges pencheront en faveur du droit du malade à ne pas recevoir de soins. Il y a un équilibre à faire entre la dangerosité (qui n’est pas une science exacte) et la liberté des individus (qui est garantie par les chartes).

Personne ne souhaite retourner à l’époque où on enfermait les malades, qu’importe leur condition. Mais je souligne ici un angle mort dans tout le débat sur la santé mentale : il y a des gens qui refusent de se soigner et qui sont dangereux.

On fait quoi avec eux ?

Dans certains cas, la réponse n’est pas dans le filet de soins de santé mentale, elle n’est pas dans « il faut plus de services ».

Elle se trouve dans les lois et dans l’interprétation de ces lois par les juges.