« Je t’aime, ma belle Julie. Ton aidant pas si naturel : ))) »

Ce sont les mots concluant un hommage touchant à sa blonde que Matthieu Préfontaine m’a envoyé à 5 h 51 samedi matin.

Ce matin-là, en lisant ma chronique sur les trois ans de la pandémie et tous ceux pour qui le retour à la « normale » est impossible, le courtier d’assurances s’est senti envahi par l’émotion1. Il a pensé à sa belle Julie, atteinte de COVID longue, qui l’impressionne jour après jour par son moral d’acier.

Depuis que la COVID longue, qui touche de 10 à 20 % des patients atteints de la COVID-192, est entrée dans sa vie en janvier 2022, Julie Pinard, sa « superwoman » de 45 ans, femme d’affaires accomplie, joggeuse et nageuse, n’est plus que l’ombre d’elle-même. La maladie l’a forcée à tout arrêter. Pour composer avec la douleur et la fatigue extrême qui l’accablent, elle passe l’essentiel de ses journées couchée.

De spécialiste en spécialiste, Julie, qui était adéquatement vaccinée et n’avait auparavant aucun problème de santé, tente de trouver une lueur d’espoir.

Elle ne sait pas combien de temps durera sa traversée du désert. Le pronostic reçu en décembre dernier – peu ou pas de possibilité de guérison à moins d’une découverte scientifique – l’a amenée à entamer un nouveau chapitre de sa vie. Un chapitre où, au lieu d’attendre le retour de « l’ancienne Julie », il lui a fallu accepter que plus rien ne soit jamais pareil et tenter de voir le bon côté des choses.

Matthieu, à ses côtés, propulsé dans une vie de proche aidant à laquelle il ne se sentait pas du tout préparé à 49 ans, est soufflé par sa résilience.

« Malgré tout, Julie garde son sens de l’humour, se documente et participe à tous les Zoom internationaux sur la COVID longue. Elle gère sa maladie comme un centre de recherche. »

Enfant, il a été marqué par les livres de Grolier Un bon exemple de… racontant l’histoire vraie de personnalités inspirantes. Louis Pasteur pour la confiance en soi, Marie Curie pour la soif de savoir…

« S’il devait y avoir un livre Un bon exemple de résilience, pour moi, c’est sûr que ce serait Julie Pinard », me dit-il, ému.

Quel est donc le secret de la résilience de Julie Pinard ?

« Je suis très touchée par les mots de Matthieu. Je sais qu’il parle de moi, mais moi, je me trouve bien normale. C’est qui, cette super fille ? ! J’aimerais bien la connaître ! », m’a répondu humblement Julie.

Elle n’était pas certaine d’avoir assez d’énergie pour me parler de vive voix. Dans une « bonne » journée, elle passe 22 heures allongée et peut faire un appel et échanger quelques textos.

« Dans une mauvaise journée, je suis couchée pendant 23 h 45… pas de téléphone, pas de textos, pas de bain. Des repas faciles à manger et à digérer. Je réécoute des livres audio ou des balados avec une seule personne qui parle, pas de musique. Dans le noir et le silence. La souffrance de ces journées est difficilement tolérable. »

J’ai eu la chance de tomber sur une « bonne » journée. Alors que les nombreuses personnes souffrant de COVID longue sont souvent oubliées dans notre empressement de retour à la « normale », Julie était heureuse d’avoir l’occasion de témoigner de sa pénible réalité. Non pas pour s’en plaindre, mais pour sensibiliser les gens aux risques de la COVID et à la nécessité de soutenir tant les patients que les proches aidants qui n’ont pas tous la chance d’être aussi bien entourés que Matthieu et elle. « Dans nos communautés, on peut tous aider quelqu’un. »

Je lui demande de me parler de l’ancienne Julie et de la nouvelle Julie.

« Je trouve que j’avais une vie merveilleuse. Je suis très fière, rétrospectivement, d’avoir profité énormément de la vie. »

L’ancienne Julie était vice-présidente aux ventes d’une grande entreprise. Grâce à cet emploi, elle a eu la chance de faire le tour du monde. Elle faisait aussi beaucoup de sport. Elle était la rassembleuse tant au sein de sa famille, de son cercle d’amis qu’au travail.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Julie Pinard

C’est un gros changement quand on est habituée de s’occuper de tout le monde, d’être partout en même temps. Et soudainement, on ne peut même plus s’occuper de soi.

Julie Pinard

Du jour au lendemain, des choses anodines sont devenues des montagnes.

« Avant, mon cerveau était comme un grand ordinateur capable d’accumuler une tonne d’informations et de faire des tris, des hypothèses et des connexions sans que j’aie vraiment besoin d’y mettre d’efforts. »

Avec la COVID longue, le grand ordinateur doit braver des épisodes de brouillard mental. « C’est variable, comme le ciel. Il y a des moments où c’est très, très bleu dans ma tête et je sais que mes capacités sont bien là, quelque part, que je peux faire de belles choses. Mais c’est épuisant et ça ne dure pas longtemps. »

Julie revient sur ma question au sujet du secret de la résilience. « Je n’ai pas essayé d’être résiliente… Je me suis adaptée. »

S’adapter, c’est reconnaître ses limites et ne pas les dépasser. C’est accepter d’avoir besoin d’aide pour pousser son fauteuil roulant, faire les repas, se laver les cheveux, promener son chien. C’est mettre une croix sur les sorties, les restos, les fêtes sans que ce soit triste. C’est demander à ses proches de s’ajuster eux aussi et de ne plus attendre le retour de « l’ancienne Julie ».

« J’aime mieux que les gens traversent cette aventure avec moi qu’ils attendent que je sois guérie. Même si je guéris, je ne serai plus jamais cette fille. On ne peut pas être la même personne après avoir traversé une telle épreuve. »

Certains patients disent de la COVID longue que c’est comme être un mort-vivant. « Mais il s’agit d’être capable de gérer nos attentes, de changer notre horizon. De s’émerveiller devant des choses qu’on n’avait pas le temps de voir avant. » Comme cette grande corneille que j’entends croasser devant sa fenêtre. « Je la trouve merveilleuse. Elle est tellement belle ! »

Julie a parfois l’impression que son ancienne vie, bien que complètement différente, l’a préparée à cette épreuve. « Quand je faisais de la gestion de crise, il fallait toujours avoir un plan B, un plan C… Avoir la capacité de se retourner et d’agir. »

« Est-ce que ça va durer ? Y aura-t-il un jour où je vais frapper un mur ? Je vois tellement de détresse autour de moi que je me dis : un jour, c’est peut-être moi qui vais être en détresse… Est-ce que notre résilience a une date d’expiration ? J’espère que non. »

1. Lisez la chronique « “Les beaux jours sont à venir” » 2. Lisez l’article « La COVID longue pourrait avoir un impact sur l’économie canadienne »