Un samedi d’hiver des années 1970, on joue au hockey-bottine, dans une ruelle du quartier Notre-Dame-de-Grâce. Les Francos contre les Anglos, ou plutôt, comme on disait dans ces temps inconscients, les… Un mot qui commence par un F, suivi d’un R, d’un O, d’un G, contre un mot qui commence par un B, suivi d’un L, d’un O, d’un K, j’arrête là.

Ça brasse, ça se pousse, ça se cingle, ça se plaque. C’est 10 à 10. On ne joue pas la trappe. On l’a plutôt grande ouverte, notre trappe, question de déranger l’adversaire. En criant, les uns des mots de pratiques religieuses commençant par un T, C, O ou S, les autres des mots de pratiques moins religieuses commençant toujours par F, U, C.

Bref, on ne met pas de gants blancs, juste des gants bleu-blanc-rouge. Que Barry et François viennent de jeter à terre.

Barry a donné un coup de coude dans la face à François, François a répliqué avec un six pouces, juste en haut des parties de Barry. Ils sont en train de régler leurs comptes en se tapochant. Mon grand frère les sépare. Barry, en ramassant sa tuque, passe un commentaire sur la sœur de François. En anglais. François lui demande : « Qu’est-ce que t’as dit ? » Barry le répète en français. Le bilinguisme, ce n’est pas toujours bon. François se jette dessus, enragé. Il lui écrase son poing sur la joue. Barry lui donne un coup de pied dans le ventre.

Cette fois, ils ne se battent plus pour imiter John Ferguson et Bobby Hull. Ils se battent pour vrai. Et ce n’est pas beau. Ce n’est pas beau, deux personnes qui veulent se faire mal. On est tous mal. François envoie une gauche sur le nez de Barry. Barry se met à saigner. Benoît crie : « Y a du sang ! »

Mon père sort sur le balcon : « Qu’est-ce qui se passe ? » François se sauve, côté rue Girouard. Barry se sauve, côté rue Old Orchard. Personne ne répond à mon paternel. Il enchaîne : « Heille ! Ça va faire, la bataille ! Rentrez chez vous ! » On chigne un peu : « Ben là… » Papa hausse le ton : « Tu suite ! »

On rentre. Tu suite, c’est tout de suite.

En passant le cadre de porte, je lâche : « Pourquoi on ne peut plus jouer ? » Ma mère répond : « Se battre, ce n’est pas jouer. »

Je hoche la tête. Un à zéro pour maman. Quand on se tiraille, qu’il y a du poussaillage, du brasse-camarade, on joue encore. Mais quand on se tape sur la gueule, ce n’est plus du jeu. Même si mon père ne nous avait pas interrompus, on n’aurait probablement pas continué. On n’avait plus de fun. On ne le sentait plus. On ne jouait plus.

Dans tous les sports d’équipe, quand deux adversaires se tapent dessus, ils sont expulsés du match. Ça va de soi, ils ne jouent plus. Il n’y a pas de règlements pour encadrer les bagarres, puisque les bagarres ne font pas partie du jeu. C’est ainsi au soccer, au basketball, au football, au baseball… Nommez-les. Il y a juste au hockey que des personnes qui en sont venues aux coups peuvent poursuivre la rencontre, après cinq ou dix minutes de pénalité. Pourquoi ? Parce que pour certains, les batailles font partie du hockey ? Euh… non ! Le hockey est un sport dont le but est de marquer des buts. D’envoyer la rondelle dans le filet de l’adversaire. Pas d’envoyer son poing dans le visage de l’adversaire.

Ceux qui tiennent au maintien des combats soutiennent que personne ne va s’acheter une bière durant une bataille, au Centre Bell. Oui, pis ? Tout le monde ralentit pour regarder un accident sur l’autoroute, ça ne veut pas dire qu’il faut enlever les limites de vitesse. Si durant l’entracte le conducteur de la zamboni perdait le contrôle de son véhicule et défonçait la bande pour atterrir sur le banc des joueurs, tous les spectateurs resteraient là pour constater les dégâts. Ça ne veut pas dire qu’il faut enlever les freins de la surfaceuse.

L’humain est un être curieux, fasciné par le drame. C’est pour ça qu’il passe devant les maisons sans les regarder, mais qu’il va passer des heures devant une maison en train de brûler. Ce n’est pas une raison pour légaliser la pyromanie.

Tout ce qui n’est pas censé se produire nous attire. Au hockey, les joueurs sont censés jouer au hockey, pas se fesser sur la marboulette. Quand ils le font, ça sollicite notre attention.

Si, durant les débats à L’antichambre, Gaston Therrien voulait faire prévaloir son point de vue sur celui de Mario Tremblay en mettant son poing dans les lunettes du Bleuet bionique, c’est sûr qu’on regarderait, c’est sûr que la séquence serait virale sur TikTok et que des milliers de personnes la commenteraient sur Facebook, mais ce n’est pas une raison pour en arriver là.

Alors, cessez de dire que les fans aiment les batailles au hockey, les fans ne détourneraient pas le regard si une bataille éclatait au soccer, au football, à la nage synchronisée ou à l’Assemblée nationale.

Mais on ne fait pas ça, entre personnes civilisées.

Les joueurs de hockey méritent d’être traités avec le même respect que tous les membres de la société. En ne permettant pas qu’à tout moment un matamore puisse leur sauter dessus et leur péter la gueule en sang.

Les responsables d’une association sportive doivent se conduire en bon père de famille, ou en bonne mère de famille.

Sortir sur le balcon et dire « c’est assez » quand leurs protégés s’agressent au lieu de jouer.

La Ligue de hockey junior majeur du Québec s’apprête à le faire. Les batailles seront bannies dès la saison prochaine. Bravo ! Il était temps.

La Ligue nationale de hockey, elle, permet encore à des belligérants de revenir dans le match.

Ils attendent quoi ? L’irréparable ?

Je sais, l’irréparable peut survenir à la suite d’une mise en échec, mais ça, ça fait partie du jeu du hockey. Pas les combats.

Les pugilistes de l’UFC ne se mettent pas à jouer au hockey en plein milieu de leur mêlée. Les amateurs de l’UFC ne sont pas là pour ça.

Le hockey n’a pas besoin d’offrir du pugilat pour intéresser son public.

Ceux qui aiment vraiment le hockey veulent regarder du hockey.

Bon match !