Justin Trudeau se complique la vie avec l’ingérence chinoise dans les élections canadiennes.

Il n’en est pas responsable. Il ne l’a pas souhaitée non plus. Et ce n’est pas son rôle de surveiller les Chinois. Ce travail revient entre autres aux services de renseignement.

Il aurait tout à gagner à se montrer ferme. Mais il ne le fait pas, par peur de confirmer que le problème existe. En le banalisant ainsi, il s’en fait malgré lui le complice.

Il est vrai qu’à ses débuts comme chef libéral, M. Trudeau avait confessé son admiration pour le régime communiste. Il n’a pas toujours été ferme. Par exemple, en 2017, Ottawa a approuvé le rachat de la firme montréalaise ITF Technologies par une entreprise chinoise, même si les agences de renseignement le déconseillaient.

Historiquement, les libéraux sont un peu moins fermes que les conservateurs face à la Chine. Cela explique pourquoi Pékin espérait une victoire libérale, finançait la Fondation Pierre Elliott Trudeau et manigançait pour défaire au moins huit candidats conservateurs en 2021. L’un d’eux était Kenny Chiu, qui avait déposé un projet de loi privé pour établir un registre des agents d’influence étrangers.

Mais même s’ils sont un peu plus ouverts que les conservateurs face à Pékin, ils n’en sont pas des alliés.

À la suite de l’affaire Meng Wanzhou, M. Trudeau a perdu sa naïveté. En 2018, la GRC a arrêté au nom de Washington la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou. La Chine s’est vengée en prenant en otage deux Canadiens et en imposant des sanctions commerciales.

Comme elle le fait souvent, la Chine s’en prenait à un pays moins puissant pour en faire un exemple.

Par la suite, Ottawa a banni Huawei du réseau 5G et a restreint les participations chinoises dans certains secteurs comme les minéraux stratégiques.

L’année dernière, le président Xi Jinping a même enguirlandé M. Trudeau devant les caméras au G201.

Avec ses interférences électorales, Pékin espérait un gouvernement minoritaire. De la faiblesse et du désordre. Pour cela, au moins, le régime ne doit pas être trop déçu.

On ne s’attend pas à ce que M. Trudeau appuie sur le bouton panique, mais il en fait un peu trop pour étouffer les critiques.

Il a raison, les ingérences de la Chine n’ont pas changé le résultat d’ensemble des deux dernières élections. En 2019 et en 2021, les libéraux ont devancé les conservateurs par 36 et 41 sièges. Selon les informations disponibles, Pékin aurait manœuvré dans moins de 12 circonscriptions. Avec ou sans intervention, les libéraux auraient gagné.

Reste qu’un tout petit nombre de députés pourrait devoir leur élection à ces manœuvres. C’est impossible à prouver. Mais le simple fait que cette hypothèse existe est en soi préoccupant.

La Chine n’est pas le seul pays à vouloir influencer des élections étrangères – les États-Unis le font aussi. Et le Canada n’est pas la seule cible.

Le premier ministre a raison de mettre en garde contre le racisme à l’endroit des personnes d’origine chinoise. Le Canada a une histoire troublante de racisme anti-asiatique, et une nouvelle vague de haine a déferlé durant la pandémie. Mais il est possible de lutter à la fois contre ces discriminations et contre le régime communiste qui intimide d’ailleurs lui-même sa diaspora.

M. Trudeau doit protéger la confiance dans les institutions. Mais en banalisant le danger, il fragilise lui-même cette confiance. Quand le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) l’a prévenu que Pékin essayait de faire gagner Han Dong dans une investiture libérale à Toronto, il a détourné le regard. Il a même accusé le SCRS de s’ingérer dans les activités de son parti.

Quand on les additionne, ces évènements isolés ressemblent à une tendance lourde.

Mardi, le Globe and Mail a publié une autre révélation fracassante. Un consulat chinois aurait encouragé le milliardaire Zhang Bin à donner un million de dollars à la Fondation Trudeau en 2014. Le don lui serait remboursé, a-t-on promis2.

La Fondation était alors dirigée par Morris Rosenberg. C’est à lui que le fédéral a commandé l’été dernier un rapport sur les allégations d’ingérence chinoise lors des dernières élections. Haut fonctionnaire respecté, M. Rosenberg a travaillé autant sous les libéraux que sous les conservateurs. Durant le dernier gouvernement Harper, il était sous-ministre aux Affaires étrangères. Son rapport était rédigé avec l’aide de hauts fonctionnaires indépendants et crédibles. Reste que sans douter de son intégrité, sur le plan des apparences, M. Trudeau aurait pu trouver une personne moins vulnérable aux attaques partisanes.

Pour faire toute la lumière et prévenir les prochaines ruses de Pékin, il faudra en faire plus.

Les bloquistes et les néo-démocrates réclament une enquête publique. D’ex-dirigeants d’Élections Canada et du SCRS souhaitent la même chose. D’autres experts craignent qu’une enquête entièrement publique soit impossible – des informations sur la sécurité nationale devront rester secrètes.

Peu importe les mécanismes, les questions sont aussi simples qu’embarrassantes pour le gouvernement libéral. On veut savoir ce qu’il savait, ce qu’il a fait et ce qu’il est prêt à faire.

Pour l’instant, la réaction de M. Trudeau paraît molle et embêtée. À trop vouloir étouffer les critiques, il les alimente. Cette stratégie s’est retournée contre lui, et elle menace de le couler.

1. Voyez l’échange entre Xi Jinping et Justin Trudeau 2. Lisez l’article du Globe and Mail (en anglais, sur abonnement)