(Ottawa) Justin Trudeau est de plus en plus isolé : après les bloquistes et les néo-démocrates, voici que les conservateurs réclament une enquête publique sur l’ingérence chinoise dans les élections fédérales de 2019 et 2021. Malgré la pression, le premier ministre résiste toujours.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a officiellement demandé qu’une enquête publique et indépendante soit ouverte, à certaines conditions, notamment que la personne à la tête de l’enquête soit choisie par les leaders parlementaires de tous les partis.

Il souhaite aussi que les études entamées en comité se poursuivent en parallèle. « On ne peut pas fermer les enquêtes parlementaires avec la promesse que dans deux ans, il va y avoir un rapport », a tranché le chef avant une réunion du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, mercredi.

Au cours de la première heure de la séance du comité en question, les élus ont eu l’occasion de questionner plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement, notamment la conseillère du premier ministre en matière de sécurité nationale, Jody Thomas.

Celle-ci a souligné qu’une enquête publique comportait des limites. « Nous ne pouvons parler dans un forum public d’informations ayant trait à la sécurité nationale », a-t-elle dit, plaidant que le cadre idéal pour une enquête est celui, à huis clos, du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

Au même moment, à l’autre bout du pays, le premier ministre a fait écho aux propos de sa collaboratrice au Bureau du Conseil privé, déclarant que ce n’était pas l’avenue qu’il préconisait et que le gouvernement mettait sur pied un registre d’agents étrangers au Canada.

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada

C’était l’objectif d’un projet de loi d’initiative parlementaire déposé par l’ancien député conservateur Kenny Chiu, qui a été défait aux élections de 2021 dans un contexte de désinformation qui aurait été orchestré par la Chine.

En comité, les élus ont voulu en savoir davantage sur son cas, et au sujet des allégations d’ingérence chinoise publiées dans le Globe and Mail et Global News, sur la foi de sources du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Leurs interlocuteurs ont refusé.

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La conseillère du premier ministre en matière de sécurité nationale, Jody Thomas, devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, mercredi

« Je ne vais pas discuter de documents obtenus de façon inappropriée », a tranché Jody Thomas.

Pas d’enquête de la GRC

L’une des dernières révélations concerne une série de dons totalisant 1 million de dollars à des institutions canadiennes, dont 200 000 $ qui auraient été versés à la Fondation Pierre Elliott Trudeau par un richissime homme d’affaires chinois proche du régime, Zhang Bin, contre promesse d’être remboursé par Pékin, d’après le Globe and Mail.

Si l’information s’avérait, il pourrait s’agir d’une infraction criminelle. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a-t-elle ouvert une enquête dans ce dossier, ou sur tout autre touchant des évènements en lien avec la campagne de 2021 ?

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Le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Shawn Tupper, a témoigné mercredi au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre

« Je peux confirmer que la GRC ne mène d’enquête sur aucune allégation concernant le dernier scrutin », a répondu au député libéral Ryan Turnbull le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Shawn Tupper.

Par ailleurs, des renseignements de sécurité, même s’ils émanent d’agences solides comme le SCRS, ne seraient pas nécessairement admissibles devant les tribunaux, a renchéri Jody Thomas. « Il y a un gros pas à franchir pour que le renseignement soit considéré comme une preuve », a-t-elle expliqué.

Frustration sur la communication

Dans un rapport gouvernemental sur l’ingérence électorale qui a été rendu public mardi, on note que même s’il y a eu tentative de perturber le processus démocratique, la population n’en a pas été informée, puisque ces actions n’atteignaient pas « les critères selon lesquels l’intégrité de l’élection était compromise ».

Le député conservateur Luc Berthold a laissé entendre que le seuil était peut-être trop élevé et qu’il y avait peut-être trop d’opacité. « Toute l’information que vous détenez, que vous recueillez, ne peut pas être rendue publique », a-t-il souligné à l’intention d’Alia Tayyeb, du Centre de la sécurité des télécommunications.

« C’est vrai, et je comprends que c’est un processus frustrant », lui a-t-elle répondu.

Au cours de la réunion, le néo-démocrate Peter Julian et la bloquiste Christine Normandin ont présenté des motions dont les libellés diffèrent, mais dont l’objectif est de lancer une enquête publique nationale. Elles doivent être débattues ce jeudi, alors que le comité se réunira pour la deuxième fois en deux jours.

L’ambassade de Chine à Ottawa nie en bloc

Au lendemain de la publication du rapport commandé par le gouvernement canadien sur l’ingérence dans les élections de 2021, qui accuse Pékin d’avoir orchestré de tels stratagèmes, l’ambassade de Chine à Ottawa a nié en bloc toute tentative de se mêler des affaires intérieures canadiennes. « Les allégations contenues dans le rapport sont purement infondées et diffamatoires. La Chine s’est toujours fermement opposée à toute tentative d’ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays », a-t-on déclaré par courriel, mercredi. « Nous ne voulons pas nous mêler des affaires intérieures du Canada, et nous n’avons jamais essayé de le faire », a-t-on ajouté avant d’accuser « des agences et médias canadiens » d’avoir « fabriqué et diffusé » de la désinformation concernant la Chine « trompant gravement la population ».