(Ottawa) La pression s’accentue sur Justin Trudeau pour qu’il déclenche une enquête publique sur les allégations d’ingérence de la Chine dans le processus démocratique canadien : le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) exigent du premier ministre qu’il bouge en ce sens – une requête à laquelle le chef libéral ne semble pas avoir l’intention d’accéder.

À la lumière des allégations « extraordinairement graves » et en raison du sérieux de l’enjeu, l’enquête ne devrait pas être laissée « aux institutions du Parlement où l’alliance libéraux-NPD est majoritaire », une enquête indépendante s’impose, a plaidé en entrevue le chef bloquiste, Yves-François Blanchet.

« On est dans le fondement même de notre démocratie, et tant mieux pour le premier ministre si ce n’est pas prouvable dans l’absolu que ça a pu faire changer un comté de bord ou pas, mais il ne peut pas affirmer que ça n’a pas eu d’incidence. On ne peut pas la mesurer, mais c’est sûr que ça a fait de quoi », a-t-il tranché.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Même son de cloche au NPD où, sans remettre en question les résultats des scrutins, le chef Jagmeet Singh a argué qu’il était impératif d’obtenir des réponses, compte tenu des « graves allégations selon lesquelles des candidats individuels ont pu être affectés par l’ingérence étrangère ».

Car « lorsque les Canadiens apprennent l’existence d’une possible ingérence étrangère », leur confiance dans notre démocratie « est mise en péril », et « la façon de mettre fin à la prétendue ingérence secrète de la Chine est de refuser de garder leurs secrets pour eux », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

L’idée d’une enquête publique sur l’ingérence électorale est déjà soutenue par d’anciens conseillers aguerris, dont l’ancien chef du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden, et l’ancien directeur général des élections, Jean-Pierre Kingsley.

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Pour sa part, le Parti conservateur a demandé d’élargir à l’élection de 2021 l’enquête déjà en cours en comité parlementaire sur une possible ingérence chinoise au scrutin de 2019. La formation n’en est pas à demander une enquête publique.

Trudeau manifeste peu d’appétit

Sans rejeter catégoriquement cette demande, le premier ministre Trudeau ne l’a pas non plus embrassée.

« C’est vraiment une chose importante et une très bonne chose que les Canadiens soient aussi intéressés à obtenir l’assurance que nos principes et pratiques démocratiques continuent à être protégés de l’ingérence venant de gouvernements autoritaires », a-t-il lancé en point de presse à Toronto.

Mais il s’en remet aux travaux du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale, qui rassemble des élus et des sénateurs qui se réunissent à huis clos, ainsi qu’à ceux du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Un libéral visé « rejette fortement les insinuations »

Le premier ministre s’était déjà montré irrité par les articles publiés il y a un peu plus d’une semaine par le Globe and Mail, sur la foi de fuites en provenance du SCRS, au sujet de l’ingérence chinoise présumée.

Lundi, il a de nouveau exprimé de l’agacement, cette fois en réaction à un reportage diffusé vendredi par Global News au sujet de l’élu libéral Han Dong, dont le SCRS aurait recommandé à son entourage de ne pas approuver la candidature en 2019.

« Dans une démocratie, il ne revient pas à des responsables [d’agences de renseignement] non élus de dicter aux partis politiques qui peut se présenter ou pas », et avancer dans les médias que de telles pratiques ont cours est « non seulement faux, mais aussi dommageable pour la confiance de la population », a-t-il martelé.

Dans son reportage, Global News rapporte que le Parti communiste chinois aurait manœuvré pour favoriser la victoire de Han Dong à l’investiture comme candidat libéral, et que le SRCS avait conseillé à l’entourage de Justin Trudeau de révoquer sa candidature à l’élection de 2019.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE HAN DONG

Han Dong, député libéral de Don Valley-Nord, en Ontario

Le principal intéressé a aussi plaidé son innocence.

« Je rejette fortement les insinuations des reportages média où il est allégué que j’ai joué un rôle dans une ingérence étrangère [du processus électoral], et je me défendrai vigoureusement », a écrit l’élu ontarien dans une déclaration publiée sur Twitter, lundi.

Assurant « qu’aucune irrégularité » n’a été décelée par ses équipes lors du processus d’investiture, puis au fil de la campagne électorale, Han Dong a ajouté qu’il se rendrait disponible pour participer aux efforts des parlementaires pour enquêter sur cette histoire.

La Chine nie en bloc les allégations d’ingérence. L’enjeu avait d’ailleurs mené à une prise de bec entre Justin Trudeau et son homologue Xi Jinping en marge du Sommet du G20 à Bali, en Indonésie, au mois de novembre dernier.

Toujours pas de rapport du comité sur les ingérences

Les Canadiens n’ont toujours pas eu droit à un rapport du comité qui était chargé de signaler les incidents d’ingérence étrangère lors des élections de 2021. Une évaluation a été rendue publique en novembre 2020, soit environ 13 mois après les élections de 2019, mais un rapport similaire pour la campagne de 2021 n’est toujours pas disponible. Le Bureau du Conseil privé a indiqué que le rapport « sera rendu public en temps voulu ». Un document d’information du ministère de la Justice d’août 2021, obtenu par La Presse Canadienne grâce à la Loi sur l’accès à l’information, indique que le rapport d’évaluation sera présenté au premier ministre et aux membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. « Une version publique sera également mise en forme », lit-on dans le document, qualifié de « secret ». Le rapport d’évaluation de 2019 a révélé que le protocole utilisé était efficace et prêt à alerter les Canadiens de l’ingérence étrangère si une situation le justifiait.

En savoir plus
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    Au moins huit candidats du Parti conservateur auraient été affectés par de l’ingérence étrangère chinoise aux élections fédérales de 2021.
    source : PARTI CONSERVATEUR DU CANADA