(Ottawa) Les allégations sur l’ingérence chinoise qui ont fuité dans les médias rappellent les renseignements erronés qui avaient circulé au sujet de la présence d’armes de destruction massive en Irak, s’est alarmé jeudi le bras droit de la ministre Mélanie Joly. Avant lui, le patron du SCRS avait refusé net de les commenter. Et à l’issue d’une réunion-fleuve de plus de sept heures, une motion réclamant une enquête publique a été adoptée.

Le sous-ministre des Affaires étrangères, David Morrison, s’est livré à une charge à fond de train contre les reportages sur l’ingérence chinoise dans les élections fédérales de 2019 et de 2021, fustigeant le recours à des sources dont les propos relèvent de la « rumeur », ce qui sème des inquiétudes qui font probablement le bonheur des ennemis du Canada, selon lui.

Sans nommer les médias dont il a taillé les reportages en pièces, le haut fonctionnaire s’est demandé comment des gestes comme ceux décrits ces dernières semaines par le Globe and Mail et Global News avaient pu être faits alors que « d’autres, y compris [lui]-même, maintiennent qu’on n’a pas détecté d’ingérence en 2019 ou en 2021 qui menace la capacité du Canada de tenir des élections libres et équitables ».

S’appuyant sur des notes écrites, le sous-ministre a martelé que les renseignements recueillis par les agences de sécurité permettaient « rarement de brosser un portrait complet ou concret », venaient « presque toujours avec de sérieux bémols », et étaient « destinés à prévenir des consommateurs avisés comme [lui]-même de ne pas tirer de conclusions hâtives ».

Il a conclu son témoignage en faisant référence aux renseignements présentés en 2003 devant les Nations unies par l’ancien secrétaire d’État américain Colin Powell, au sujet de la prétendue présence d’armes de destruction massive en Irak qu’aurait développées Saddam Hussein. « Il y a des exemples historiques flagrants d’informations qui sont tout simplement fausses. La guerre en Irak me vient à l’esprit », a-t-il lâché.

« Il n’y a rien que nos ennemis aimeraient plus que de diviser les Canadiens », a conclu David Morrison.

L’espion en chef du Canada garde ses secrets

Le patron du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault, avait été plus tôt pressé de questions par les élus, mais il n’avait pas mordu. Son témoignage peut être résumé en cette phrase : « Ce n’est pas parce que des informations sont rapportées dans les médias que je suis libre d’en parler. »

Il a justifié cette réserve en faisant valoir qu’il serait contre-productif de discuter publiquement des méthodes et stratégies utilisées par le SCRS, car cela permettrait aux États étrangers ou malveillants, dont les tactiques ne cessent d’évoluer, de s’ajuster en conséquence.

Le SCRS prend les allégations de divulgation non autorisée de renseignements confidentiels très au sérieux. Des atteintes du genre peuvent exposer des sources sensibles, des méthodes et des techniques aux adversaires du Canada. Ils écoutent.

David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, dans sa déclaration d’ouverture

M. Vigneault a été plus loquace au moment de parler de la menace que constitue l’ingérence chinoise dans le processus démocratique canadien, qui s’opère à « tous les ordres de gouvernement : fédéral, provincial et municipal » et qui vise les candidats de tous les partis.

En ce sens, créer un registre des agents étrangers serait pertinent, à son avis. « Je crois que ce serait un outil important. Ça ne réglerait pas tous les problèmes, mais ce serait un outil de plus pour la transparence », a dit celui qui est en poste depuis 2017.

Le premier ministre Justin Trudeau a affirmé mercredi que son gouvernement étudiait cette option.

Pas de « cirque », mais une enquête publique

La séance a donné lieu à des échanges acerbes, en particulier entre David Morrison et le député conservateur Michael Cooper, qui a conclu la dernière heure en donnant de l’index sur la table. « Zéro. Zéro, zéro, zéro, zéro », a-t-il grondé en rythmant ses propos sur la table avec son doigt, après que le sous-ministre lui eut confirmé que le gouvernement n’avait expulsé aucun diplomate chinois depuis 2019.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député conservateur Michael Cooper

Le néo-démocrate Peter Julian a plus tard brandi le comportement de l’élu albertain, son « cirque », en guise de preuve que le forum le plus approprié pour obtenir des réponses sur l’ingérence étrangère n’était pas un comité de la Chambre des communes, mais bien une enquête publique.

C’est d’ailleurs ce qu’ont réclamé en majorité les députés du comité après plus de sept heures de réunion. Une motion en ce sens, à laquelle les cinq libéraux du comité se sont opposés, sera présentée à la Chambre des communes.

La motion n’est pas contraignante ; le gouvernement n’est pas tenu de respecter la volonté du comité.

M. Trudeau a jusqu’à présent résisté à l’idée d’une enquête publique.

Plaintes chez la commissaire aux élections

Le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre se réunissait pour la deuxième fois en deux jours, jeudi, afin de poursuivre son étude sur l’ingérence chinoise dans les élections fédérales de 2019 et de 2021.

Durant la première heure, les députés ont accueilli le directeur général des élections, Stéphane Perrault, ainsi que la commissaire aux élections fédérales, Caroline Simard. Cette dernière a précisé que son bureau avait reçu 158 plaintes en lien avec 10 situations pour le scrutin de 2019, et 16 plaintes en lien avec 13 situations dans le cas de la campagne de 2021.

Pas d’ingérence au Québec, selon François Legault

Il n’y a pas eu d’ingérence étrangère durant les élections québécoises de 2022, a laissé entendre le premier ministre François Legault jeudi à Québec. Questionné au cours d’une mêlée de presse pour savoir s’il avait eu l’assurance de l’absence d’ingérence étrangère au cours de la dernière campagne électorale, M. Legault a été succinct. « Moi, je n’ai pas d’indications selon lesquelles il y aurait eu de l’ingérence », a-t-il répondu, à la sortie d’un long entretien en après-midi avec le maire de Québec, Bruno Marchand, à l’hôtel de ville. Il n’a toutefois pas précisé d’où il tenait ses renseignements ou si son gouvernement avait effectué des vérifications. Élections Québec, qui est garant de l’intégrité, de la transparence et de la fiabilité du processus électoral québécois, indique aussi n’avoir rien relevé qui s’apparenterait à une intervention étrangère dans la campagne électorale. « Rien ne nous laisse croire qu’il y aurait eu du financement politique illégal provenant de l’étranger au cours des dernières élections provinciales », a indiqué la porte-parole Julie St-Arnaud-Drolet, en entrevue avec La Presse Canadienne.

La Presse Canadienne