La Chine va s’ingérer à nouveau dans les prochaines élections canadiennes, selon un ancien député conservateur qui dit avoir été visé par le régime communiste

(Ottawa) La Chine est passée maître dans l’art de s’ingérer insidieusement dans les élections au Canada. Et il sera quasi impossible de contrer toute forme d’ingérence de Pékin lors des prochaines élections fédérales au pays, avertit un ancien député conservateur de la Colombie-Britannique, Kenny Chiu.

Kenny Chiu a été élu pour la première fois député de la circonscription de Steveston–Richmond-Est aux élections fédérales d’octobre 2019. Deux ans plus tard, au scrutin du 20 septembre 2021, il a mordu la poussière en bonne partie selon lui à la suite d’une vaste campagne de désinformation menée contre lui par le régime communiste chinois sur le réseau social WeChat.

Dans une entrevue accordée à La Presse, vendredi, l’ancien député conservateur a confirmé avoir rencontré deux enquêteurs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au beau milieu de la dernière campagne électorale afin de leur remettre des preuves d’ingérence de la Chine. La rencontre a eu lieu à sa demande dans le local électoral qu’il avait loué à Richmond et elle a duré plus d’une heure.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien député conservateur Kenny Chiu

« J’ai sonné l’alarme à ce moment-là. Je voyais bien qu’il y avait une campagne de désinformation sophistiquée dans le but de s’ingérer dans la campagne », affirme au bout du fil M. Chiu, qui est retourné dans le monde des affaires.

Près de la moitié des résidants de sa circonscription sont d’origine chinoise. Nombre d’entre eux s’abreuvent de nouvelles uniquement en consultant WeChat, une application mobile de messagerie texte et vocale mise au point par le géant chinois Tencent Holdings Limited. Cette application est très populaire en Chine et auprès de la diaspora chinoise partout dans le monde, qui l’utilise pour communiquer avec de la famille et des amis qui vivent encore en Chine. Elle compte plus d’un milliard de comptes.

La Chine utilise de multiples moyens à sa disposition pour s’ingérer dans les élections. Il y a longtemps qu’elle a surpassé la Russie à cet égard.

Kenny Chiu, ancien député conservateur

« La désinformation qui a sévi durant les dernières élections a été l’un des facteurs qui ont contribué à ma défaite », ajoute-t-il.

« Malheureusement, le gouvernement Trudeau se traîne les pieds malgré les nombreux rapports sur l’ingérence étrangère. Il ne prend pas cette menace au sérieux. »

Le quotidien The Globe and Mail a rapporté la semaine dernière que la Chine avait utilisé une stratégie raffinée durant la campagne électorale de 2021 afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

Le quotidien soutient avoir vu l’ampleur de l’opération d’ingérence menée par Pékin en consultant des documents secrets du SCRS touchant la période avant et après les élections de septembre 2021.

Le Parti conservateur soutient qu’au moins huit de ses candidats ont mordu la poussière aux élections fédérales de 2021 à cause de l’ingérence de la Chine durant la campagne électorale. Parmi eux, trois étaient des députés sortants, dont M. Chiu.

Décrit comme une menace

Durant la dernière campagne, M. Chiu était particulièrement dans la mire des autorités chinoises après avoir déposé à la Chambre des communes, six mois avant les élections fédérales, un projet de loi privé visant à établir un registre des agents d’influence étrangers. Les États-Unis ont un tel registre tandis que l’Australie a adopté en 2018 un programme de transparence de l’influence étrangère. Le Royaume-Uni a lancé des consultations sur la création d’un registre similaire.

Pékin estimait que le projet de loi C-282 était ouvertement hostile à ses émissaires au Canada. Le projet de loi est mort au feuilleton à la suite du déclenchement des élections.

Lorsqu’il était député, M. Chiu, qui est natif de Hong Kong et a émigré au Canada en 1982, a aussi été vice-président d’un sous-comité de la Chambre des communes qui s’est penché sur les mauvais traitements réservés à la minorité ouïghoure en Chine. Le comité a conclu que ces mauvais traitements constituaient un génocide.

Des articles attaquant M. Chiu pour avoir présenté ce projet de loi ont été publiés sur WeChat et d’autres médias sociaux chinois ainsi que dans le journal Global Times – un journal proche du Parti communiste à Pékin.

« WeChat est une application qui est surveillée de très près par le gouvernement chinois, explique l’ancien politicien. Aucune information qui serait défavorable au régime chinois n’y est permise. »

Les articles décrivaient le projet de loi de M. Chiu comme raciste et constituant une menace envers les Canadiens d’origine chinoise. D’autres articles attaquaient le Parti conservateur et le chef de l’époque, Erin O’Toole, qui avait promis d’adopter une politique de fermeté vis-à-vis de la Chine.

« L’un des articles affirmait que si M. O’Toole remportait les élections, il allait interdire l’utilisation de WeChat au Canada. On l’a décrit comme un leader raciste parce qu’il a critiqué le Parti communiste chinois », précise M. Chiu.

Dans toutes ses communications, le Parti communiste chinois se présente comme l’unique défenseur des intérêts de la Chine.

« Cela vise à démontrer que le Parti communiste chinois représente la nation chinoise, et toute critique envers le parti est aussi une critique envers la Chine et envers tous les Chinois », souligne M. Chiu.

« Nous faisons face à une guerre de l’information asymétrique. La Chine ne permet pas à sa population d’avoir un accès libre à l’information. Mais au Canada, on n’exerce pas un tel contrôle sur l’information, qu’elle soit vraie ou fausse. Par conséquent, je n’avais pas vraiment le moyen de contrer cela. »