Parlons, si vous le voulez bien, d’une autre sorte d’abus et d’exploitation des jeunes joueurs de hockey. Un abus tellement ancré dans les mœurs qu’il est institutionnalisé, célébré.

Je parle du système même du hockey junior au Canada, où les jeunes joueurs sont utilisés au profit d’équipes qui veulent imiter le hockey professionnel – où beaucoup aspirent à aboutir joueurs, arbitres, entraîneurs.

Au lieu d’utiliser le hockey pour scolariser les jeunes – comme on le fait au football, et comme on le fait aux États-Unis pour tous les sports.

Je veux bien qu’on se scandalise des déviances de la « masculinité toxique » dans le hockey. Ce qu’on a lu dans le jugement ontarien était révoltant et nécessite des enquêtes de police.

Mais comme nos parlementaires l’ont prouvé dans leur mini-commission mardi, quand on n’a pas de faits, on ne peut pas faire de bons interrogatoires.

Les questions étaient générales, les dénégations tout aussi générales. Le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), Gilles Courteau, n’a rien entendu, sauf de vagues rumeurs. À quel point ces pratiques déviantes ont-elles été répandues ? Jusqu’à quand ? L’idée que le commissaire n’ait pas été au courant (de quoi, au fait ?) n’est pas si ridicule que certains l’ont avancé sans preuve.

J’imagine que les auteurs d’actes criminels ou ceux qui les laissent se produire ne s’en vantent pas trop. Et comme on sait, les victimes comprennent qu’elles font mieux de se taire – et de continuer le cycle avec les suivants.

Les députés ont exprimé leur indignation. Le commissaire a annoncé la fin officielle de la règle de l’omerta des vestiaires – bonne chance à tous !

Mais on n’a rien appris de nouveau sur « ça ».

Laissons donc « ça » de côté en attendant, et parlons du système du hockey junior lui-même.

Aux États-Unis, le hockey d’élite est associé au système scolaire. Comme tous les sports, il est régi par la National Collegiate Athletic Association (NCAA). Beaucoup de joueurs de la Ligue nationale sont issus d’équipes collégiales ou universitaires américaines – comme Cole Caufield ou Joé Juneau, pour citer deux exemples évidents d’excellence athlétique.

Une saison de hockey dans la NCAA comporte 34 parties, toutes jouées les vendredis et samedis. Plus les tournois de fin de saison.

Le hockey junior majeur québécois recrute les joueurs dès 16 ans, donc en cinquième secondaire, et jusqu’à 20 ans. Depuis 2011, ils sont obligés d’être inscrits dans un programme scolaire. La ligue vante le taux de réussite, mais la plupart des joueurs ne sont inscrits qu’à quelques cours.

Les joueurs ont un calendrier de… 68 parties. La plupart le week-end, mais pas toutes. Le territoire va de Gatineau à Baie-Comeau en passant par Rouyn, le Cap-Breton et Halifax.

Dans le temps des Fêtes, les équipes peuvent procéder à des échanges, comme dans les ligues professionnelles. Untel part de Gatineau pour aller jouer à Bathurst, tel autre, de Moncton, est échangé contre des choix au repêchage à Drummondville, etc.

On ne nous dira pas que ce système est fait pour le développement de la jeunesse. Pas plus que le cégep par correspondance quand tu joues à Charlottetown…

L’an dernier, 19 joueurs de la ligue québécoise ont été repêchés par la Ligue nationale. Une fraction d’entre eux y joueront.

On nous fait valoir que pour tous les autres, le hockey junior est une école de vie formidable, que les joueurs ont des bourses d’études, qu’ils sont des « actifs » pour la société. Je n’en doute pas.

Mais tout ce système calqué sur les professionnels est construit par et pour les équipes. C’est en soi un système d’exploitation. Oh, pas violent, bien sûr, et plein de vertus. Mais s’il était fait pour les jeunes, on ne les ferait pas jouer un nombre aussi ridicule de parties sur un aussi grand territoire avec possibilité d’échanges au milieu de la saison.

La LHJMQ est fière de nous dire que le taux de bagarres, qui a déjà dépassé le 1 par match, a diminué à 14 %. Autrement dit, dans 86 % des matchs, il n’y a pas de bagarre. On vante la sévérité exceptionnelle de la ligue… parce qu’on la compare aux autres ligues canadiennes.

On devrait peut-être se comparer à la NCAA, où une bagarre entraîne une expulsion et une suspension d’un match – et plus si récidive. Au Québec, il faut trois bagarres avant d’être suspendu.

On devrait peut-être aussi se comparer à TOUS les autres sports, où bien sûr la bagarre est interdite et sévèrement punie. À plus forte raison quand des mineurs sont impliqués.

Martin Leclerc, de Radio-Canada, qui a attiré l’attention du Québec sur le jugement ontarien, a noté qu’on a trop fixé les yeux sur les initiations dégradantes – et criminelles. La différence du hockey par rapport à l’université par exemple, note-t-il, c’est que la culture d’intimidation ne se résume pas à un évènement ; elle dure toute l’année.

M’est avis que tout le système semi-commercial du hockey junior canadien favorise le développement de cette sous-culture toxique.

Les institutions scolaires ne sont pas parfaites, la NCAA non plus. Des dérapages, il peut y en avoir partout.

Mais dans le cadre scolaire, l’encadrement est par définition plus sérieux. Le volume de matchs est adapté aux études – pas aux besoins de l’aréna local. Ah, oui, aussi : on va à l’école.

Bref, même si tout va bien, même s’il n’y avait eu aucun « incident malheureux » au Québec depuis 20 ou même 50 ans, le système du hockey junior lui-même n’a pas de bon sens.