Un homme entre au travail un beau matin. Commence sa journée de chauffeur d’autobus comme chaque matin depuis 10 ans. Fait monter et descendre les passagers.

Puis, après ce début de journée de travail banalement normal, il quitte la route avec le même autobus et fonce dans une garderie. Tue deux enfants. Pas par accident, nous dit la police : dans le but de tuer. Au hasard. Aveuglément.

Pourquoi un homme qui n’a jamais eu affaire avec la justice se transforme-t-il en tueur d’enfants ?

Trois jours plus tard, on ne le sait pas. Mais même si l’on « savait », qu’est-ce qu’on comprendrait, au juste ?

Sans doute un problème de santé mentale, a-t-on immédiatement avancé. C’est une explication fourre-tout, qui nous donne l’impression d’avoir trouvé un peu de raison.

Pour détruire ce qu’il y a de plus beau, il faut bien être fou, non ?

Premièrement, on n’en sait rien. Deuxièmement, même avec un diagnostic, on resterait avec cette interrogation angoissante : pourquoi ? Pourquoi lui, ce jour-là ?

La psychiatrie judiciaire peut bien établir un diagnostic, identifier un trouble qui exclut la responsabilité criminelle d’un accusé – ou pas. On reste avec la question : pourquoi lui ? Pourquoi cet individu a-t-il commis un crime aussi horrible, et pas les milliers d’autres atteints de la même maladie ?

On ne vit pas bien avec l’absurdité. Ça prend une raison. Il faut mettre de l’ordre dans le chaos et la tristesse qu’un tel crime provoque.

Il n’y a pourtant aucune « raison » imaginable pour un acte semblable. Et s’il n’y a pas de raison, c’est que « ça » peut arriver, détruire des vies. Des vies qui commencent, qui sont ce qu’une société a de plus précieux. Détruire l’espoir même, à tout moment, dans l’endroit le plus inattaquable possible.

On cherche les signes avant-coureurs. Peut-être, la prochaine fois, si on les détecte, on pourra empêcher ça ?

Le chauffeur accusé n’était pas sur la liste d’attente des services sociaux, a dit le ministre Lionel Carmant, comme pour exclure une sorte de négligence institutionnelle de l’État.

S’il l’avait été, on aurait pu accuser le « système », la « machine ». On n’aurait rien expliqué. Tant de gens attendent des soins. Ils ne tuent pas.

Quand la religion avoue son incompétence à expliquer l’inqualifiable, elle parle de « mystère ».

On se tourne vers la psychologie. Mais elle aussi touche vite ses limites. Ni la génétique, ni la neurologie, ni les plongées dans les profondeurs du cerveau ne viendront nous dire pourquoi.

Devrait-on mieux protéger les garderies ? ont demandé des journalistes au ministre de la Sécurité publique. Si on ne peut pas prévoir, au moins prévenir ? On ne peut pas se préparer à l’imprévisible, a répondu François Bonnardel. L’homme n’a pas utilisé une arme à feu, ni rien qui aurait dû être inscrit sur un registre, ou hors commerce, mais le véhicule le moins inquiétant qui soit, son outil de travail.

Un jour, on aura une forme d’explication. Un mobile. Un diagnostic médical, peut-être. On saura comment c’est arrivé.

Mais pourquoi, vraiment, un homme, cet homme, ce jour-là, sort de sa route balisée en plein milieu de son quart de travail pour tuer des enfants, au lieu de passer tout droit ?

Aucun procès ne nous le dira.