On se réveille en sursaut, peut-être à cause des piaillements des enfants, et on se dit qu’il ne peut rien arriver de grave. Pas un mercredi matin de février, à Laval.

Junior renifle un peu. Pas assez pour prendre congé. On hésite deux minutes, pour la forme, puis on se dit que non, tant pis, on va à la garderie. On se dépêche. On saute dans la douche, on fait les lunchs. Ça roule, comme tous les mercredis matin de février, à Laval.

À la garderie, Junior s’accroche à notre cou. Comme d’habitude. Il rejoue la scène. Toujours la même. « Non, maman, ne me laisse pas… » Il pleure à chaudes larmes. On se défait de son emprise. On ne laisse rien paraître, mais on a le cœur à l’envers. Comme d’habitude.

On se dit que, de toute façon, il ne peut rien arriver de grave.

On part au bureau, en se convainquant très fort que Junior a déjà oublié sa peine, qu’il s’amuse déjà avec ses amis et ses éducatrices en or. Il se barbouille de peinture à l’eau. Ou alors, il fait un bricolage. En tout cas, il est bien, dans ce cocon douillet. On se dit qu’on est chanceux, tout de même, d’avoir eu une place dans cette belle garderie. Que Junior est en sécurité. Qu’il est heureux.

Malgré tout, on a hâte à la fin de la journée. À ce moment où, en nous apercevant, ses yeux s’illumineront – et où il se précipitera dans nos bras pour nous donner un gros, gros câlin. Comme d’habitude.

Et puis, tout bascule. On n’est même pas arrivé au bureau que le cellulaire sonne. « Viens-t’en à la garderie ! Il se passe quelque chose de grave ! »

Ça n’aurait pas dû arriver. Un chauffeur qui percute la garderie éducative Ste-Rose à Laval, délibérément. En sachant qu’il allait tuer des enfants, des bambins, des bébés. C’est tellement cruel qu’on en perd nos mots.

On imagine le cauchemar atroce des parents. Ils se précipitent sur les lieux, en état de choc. Il y a des voitures de police, des ambulances. Et l’autobus, encastré dans la garderie. Ils entendent à la radio que des enfants étaient pris sous l’autobus. Les leurs ? Ils ne savent rien.

Les gens pleurent, crient, paniquent. Les journalistes tendent leurs micros à tous ceux qui croisent leur chemin. Un hélicoptère survole la scène. C’est le chaos.

On apprend plus tard que huit enfants ont été transportés en ambulance dans un état critique. Deux sont morts.

Les services de police ont érigé un périmètre de sécurité autour de la garderie, cet espace sûr pour ce que les parents ont de plus précieux au monde.

C’est maintenant une scène de crime.

Ce n’était pas un accident.

« On l’a frappé pour le maîtriser, on l’a mis par terre. Il était dans un autre monde, carrément », a raconté Hamdi Benchaabane, un voisin qui a retenu le chauffeur au sol jusqu’à l’arrivée des policiers.

Il y en aura sans doute pour dire que c’est un terroriste. Ça se défend, dans la mesure où il a foncé exprès dans une garderie bondée, pour infliger la terreur. Ce qu’il a fait est un acte délibéré.

Enfin, délibéré… C’est là que ça se complique. Ce chauffeur était manifestement en crise. Il était hystérique. Il était nu. Entièrement nu. Il a fallu quatre hommes pour le maîtriser…

Autrement dit, c’était peut-être un acte délibéré, mais tout porte à croire que cet homme-là n’était pas en parfait contrôle de sa tête. En profonde détresse, ou alors en psychose… on n’en a pas la moindre idée, pour le moment. Ça n’excuse en rien l’horreur, bien sûr.

Mais nous devons en faire plus, et mieux, pour éviter que ça ne se reproduise. Parce qu’un drame pareil n’est pas le premier ni le dernier à survenir. « Malheureusement, Laval a été le théâtre de plusieurs tragédies ces derniers mois », rappelle d’ailleurs le maire de Laval, Stéphane Boyer, en entrevue avec La Presse.

La santé mentale, ajoute-t-il, est « un enjeu qu’il faut prendre au sérieux. […] C’est très complexe, ce qui se passe, mais force est de constater que beaucoup de familles se sentent sous pression et que malheureusement, il y a des tragédies humaines qui se vivent ».

Il est encore trop tôt pour dire ce qui a poussé ce chauffeur, Pierre Ny St-Amand, à commettre l’irréparable. Un malade ? Seul le psychiatre qui l’évaluera pourra le dire, préviennent les experts. En attendant, évitons de stigmatiser les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale. La très, très grande majorité d’entre eux ne sont pas violents.

N’empêche : il faut investir davantage en prévention, plaide le maire de Laval, avec raison. Évidemment, on ne pourra jamais tout contrôler. On en échappera encore. Mais l’idée, c’est d’en échapper le moins possible. Trop de gens n’ont pas accès à des soins psychologiques dignes de ce nom au Québec. C’est dangereux. Pour eux, d’abord. Mais aussi, parfois, pour les autres.

Difficile d’imaginer ce que les enfants ont vécu. Et leurs éducatrices. Et les parents qui se sont précipités là-bas en panique. Et les policiers, les ambulanciers. Et les médecins, les infirmières qui ont tout fait pour sauver des enfants, mais qui les ont perdus.

Tous ces gens auront besoin de temps et de soins pour s’en remettre. « Du soutien psychosocial est dépêché sur place pour les victimes, leurs proches et pour le personnel », a assuré sur Twitter le ministre de la Santé, Christian Dubé.

Ça reste évidemment à voir, mais une pensée me hante : peut-être que le chauffeur, lui, n’a pas reçu de soutien psychosocial adéquat quand il aurait dû en avoir. Peut-être – je dis bien peut-être – que s’il en avait reçu, on n’en serait pas là.

Peut-être que toutes les mamans et tous les papas de Laval auraient eu droit à leur gros câlin, à la fin de cette journée où il n’aurait rien dû arriver de grave.

Lisez l’article « En faire plus pour la santé mentale, mais éviter aussi la stigmatisation »