Le chauffeur d’autobus qui a foncé sur une garderie du quartier Sainte-Rose, en début de journée mercredi à Laval, illustre de nouveau que les municipalités doivent faire plus pour lutter contre les problèmes de santé mentale, estime le maire Stéphane Boyer. S’ils s’accordent sur le principe, des experts préviennent toutefois qu’il faut « être prudent » afin d’éviter de « stigmatiser » les problèmes psychiatriques.

Profondément « bouleversé », comme le reste de la population, M. Boyer s’est rendu sur les lieux de la tragédie, en fin de matinée mercredi, pour y rencontrer les familles touchées. Lors d’une mêlée de presse, le maire a affirmé que « la santé mentale est un enjeu extrêmement important » et que « malheureusement, Laval a été le théâtre de plusieurs tragédies ces derniers mois ». « C’est un enjeu qu’il faut prendre au sérieux », a-t-il martelé.

En entrevue avec La Presse, il a ensuite précisé que le phénomène « n’est pas unique à Laval ». « En ce moment, on vit beaucoup de crises : il y a eu la pandémie, on parle beaucoup de l’inflation, du contexte de la guerre en Europe. Tout ça met beaucoup de pression psychologique sur les individus », a-t-il souligné.

C’est très complexe, ce qui se passe, mais force est de constater que beaucoup de familles se sentent sous pression, et que malheureusement, il y a des tragédies humaines qui se vivent. Ça me préoccupe beaucoup.

Stéphane Boyer, maire de Laval

À ses yeux, « il n’y a pas de solution magique ou facile pour régler l’enjeu », mais il revient aux villes d’investir davantage en prévention. « Chez nous, au dernier budget, on a mis environ 3 millions pour mieux soutenir nos organismes en développement social, en soutien familial, en itinérance, pour justement agir davantage en prévention. Trop souvent, ces organismes ne peuvent pas financer leurs activités à la hauteur des besoins », a insisté M. Boyer.

Il dit trouver « difficile de mettre des mots sur cette tragédie », mais s’attend à avoir « plus de réponses dans les prochains jours », au fur et à mesure que l’enquête progressera. « Pour moi, aujourd’hui, c’est surtout de dire aux familles de Laval qu’on va être là pour elles, qu’on va tout faire pour leur offrir le soutien nécessaire », a-t-il dit.

Gare à la stigmatisation

S’ils saluent la volonté d’en faire plus pour lutter contre les problèmes de santé mentale, les experts consultés par La Presse rappellent toutefois que des mises en garde s’imposent, lorsqu’on parle de potentiels problèmes psychiatriques et de criminalité.

« Il faut toujours faire attention de ne pas toujours immédiatement penser, quand il y a un crime sévère comme celui qui vient de se passer, que c’est dû à quelqu’un qui souffre d’une maladie psychiatrique. Ça peut évidemment être le cas, mais il y a aussi d’autres personnes qui peuvent commettre des crimes, comme des gens qui ont de la difficulté à gérer leurs émotions, des troubles de personnalité ou des problèmes de toxicomanie. Il y a plein d’autres raisons possibles », explique en ce sens le DMathieu Dufour, chef du département de psychiatrie à l’Institut Philippe-Pinel.

À ses yeux, on a collectivement souvent tendance à « stigmatiser les gens qui ont des problèmes de santé mentale ». « On pense par exemple qu’ils sont nécessairement violents. Mais dans les faits, une personne qui a une maladie psychiatrique est plus souvent victime de violence qu’auteur de violence », illustre le Dr Dufour.

La directrice générale de l’Association des médecins psychiatres du Québec, Martine Dériger, est aussi de cet avis. « Dans ce cas-ci, il est encore très tôt pour se prononcer. Un problème de santé mentale, on ne peut pas évaluer ça à distance. On parle de situations très complexes, qu’il faut prendre le temps de bien évaluer avant toute chose », soutient-elle.

Sur Facebook, mercredi, la psychiatre Marie-Eve Cotton a aussi émis cette mise en garde. « Après la tragédie du Vieux-Québec, tout le monde criait à la schizophrénie. Ça n’a pas été confirmé par les évaluations subséquentes. 23 % des tueurs de masse ont une maladie mentale, donc c’est possible, mais pas automatique. La haine n’est pas une maladie mentale », a-t-elle écrit.

Aux yeux de la Dre Cotton, « confondre continuellement les deux stigmatise les gens avec des maladies mentales ». « Les gens ont 2,5 fois plus de chances de croire que les schizophrènes sont violents qu’en 1950 à cause de la médiatisation de tels crimes. Tristement, ce sont les seuls moments où tout d’un coup on s’intéresse [à la question] et on parle de maladies mentales : c’est un problème », a-t-elle conclu.