Il n’y a pas d’islamophobie au Québec. On se tue à vous le dire depuis deux semaines. Pour ceux qui n’auraient pas bien suivi, je vous résume : non seulement il n’y a pas la moindre trace d’islamophobie au Québec, mais en plus, l’islamophobie, ça n’existe pas. Voilà. Affaire classée.

Je rentrais d’Ukraine quand la saga Amira Elghawaby a commencé. Je ne prévoyais pas y revenir. Tout a été dit et redit, pesé et soupesé. Il en ressort une conclusion évidente : cette femme n’est pas faite pour le poste de représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie. Elle ne réussira jamais à bâtir des ponts.

Mais le poste lui-même ? Le poste, me semble-t-il, est nécessaire.

C’est aussi ce qu’a écrit mon collègue éditorialiste Philippe Mercure, le 8 février1. « Quand vous réalisez que vous avez nommé une pyromane comme cheffe des pompiers, la chose à faire est de la retirer de ses fonctions le plus rapidement possible, illustrait-il. Mais faut-il pour autant supprimer son poste ? Surtout quand on sait qu’il y a des feux à éteindre ? »

Chaque année, 100 à 200 crimes haineux sont perpétrés contre des musulmans au Canada, rappelait Philippe Mercure. Selon un sondage Léger réalisé en juin 2022 pour le compte de l’Association d’études canadiennes, 44 % des Québécois ont une vision « quelque peu » ou « très » négative des musulmans. C’est énorme. Et c’est désespérant.

Pour son édito nuancé, pas incendiaire pour deux sous, Philippe Mercure a été submergé de courriels… islamophobes. Antimusulmans, si vous préférez.

Critiquer l’islam, ce n’est pas de l’islamophobie. Soit. Mais les messages envoyés à mon collègue n’ont rien à voir avec la critique légitime d’une religion. Ils ont tout à voir avec la haine et l’intolérance.

Vous pensez que j’exagère ? Voici un florilège des messages qu’on lui a adressés :

« La réponse est simple : on ne les aime pas. Regardez en France, vous allez tout comprendre. Demandez aux Français de souche. Informez-vous, ce sont des envahisseurs. »

« Maintenant changez de disque. C’est redondant et lassant. Si c’est si terrible pour eux ici, qu’ils aillent ailleurs. »

« Ça prouve qu’on les voit pour ce qu’ils sont, des religieux mentalement affectés… »

« Ce qui m’inquiète, c’est le refus des valeurs québécoises de ces islamistes radicaux. »

« Non, nous n’avons pas un sou à dépenser pour défendre ceux qui ne nous respectent pas. Les avions retournent s’ils ne sont pas satisfaits de notre façon de vivre. »

« Lorsqu’une personne porte un signe religieux extérieur évident d’un lavage de cerveau, elle ne peut être objective dans ses décisions. »

« La bonne personne à ce poste devra aussi se demander pourquoi l’islamophobie est si répandue. Le pompier combat le feu, mais il faut aussi penser à celui qui met le feu. »

« S’ils ne veulent pas s’acclimater au Québec, aucun pont ne sera jamais assez long : ils tomberont toujours dans les glaciales eaux sombres du Saint-Laurent : autant retourner en désert musulman ! »

« Réveillez-vous Québec/Canada, l’islam n’est pas seulement une religion divine, l’islam est avant tout politique, social. L’islam a pour mission de convertir tous les mécréants au Québec/Canada. »

En 2017, un tueur a fait irruption à la grande mosquée de Québec pour abattre six fidèles en pleine prière. Six hommes arrachés à leurs familles. Dix-neuf autres, blessés. Un nombre incalculable de vies, bouleversées.

Cette tuerie est la manifestation ultime de la haine que certains vouent à l’islam et à ses pratiquants. Mais cette haine s’est maintes fois exprimée, au Québec.

Avant le massacre, on a placé une tête de porc à la porte de cette mosquée. Après, on a mis le feu à la voiture de son ancien président.

Aux quatre coins de la province, d’autres mosquées ont été ciblées : sang de porc à Saguenay, excréments à Shawinigan, œufs à Rimouski, incendie à Sept-Îles, fenêtres fracassées à Saint-Hyacinthe, vandalisme à Montréal, menaces de mort à Dorval. J’en passe, malheureusement.

Des femmes voilées ont été insultées en pleine rue. Un chauffeur arabe a été poignardé dans son taxi. « Retourne dans ton pays, crisse d’immigrant », lui a craché son assaillant.

Mais il n’y a pas d’islamophobie, au Québec. Tout va bien. Le premier ministre l’a assuré, en janvier 2019. Seulement deux ans après l’attentat de la mosquée. « Je ne pense pas qu’il y ait de l’islamophobie au Québec », avait dit François Legault, fermant ainsi la porte à la création d’une journée nationale de lutte contre l’islamophobie.

Un an plus tard, en janvier 2020, une déferlante de haine antimusulmane a balayé la page Facebook du premier ministre2, qui venait de souligner le troisième anniversaire de l’attentat de la grande mosquée. Parmi les édifiants commentaires :

« De la vermi… »

« Je leur pisse au visage. »

« Merci M. Legault pour aller voir ces tueurs de moutons égorgés ! Câlice, gang de bâtards !! »

« On va-tu célébrer ça pendant des décennies ? »

« Je croyais sincèrement voter pour la CAQ aux prochaines élections, là je suis dans le doute. »

Le 29 janvier dernier, pour le sixième anniversaire de l’attentat, François Legault a encore une fois rendu hommage aux victimes et à leurs familles sur ses réseaux sociaux. Cette fois, il a pris soin de bloquer les commentaires.

Mais il n’y a pas d’islamophobie au Québec.

1. Lisez l’éditorial « Le problème est Mme Elghawaby, pas son poste » 2. Lisez la chronique « Sur la page Facebook de François Legault »