Quand l’horreur frappe comme à Laval, les politiciens n’ont pas le choix de se montrer. C’est une opération aussi nécessaire que délicate.

« On n’a jamais regretté d’être allés sur le terrain », constate Manuel Dionne, directeur des communications du gouvernement caquiste, au sujet des drames qui ont marqué les cinq dernières années comme les tornades à Mascouche, l’ouragan aux Îles-de-la-Madeleine, les inondations à Sainte-Marthe-sur-le-Lac ou les glissements de terrain au Saguenay.

Tout le défi consiste à savoir quoi dire, et quand.

Il n’existe pas de règle écrite. Chaque crise est particulière. Les élus doivent s’en remettre à leur jugement et à leur intuition.

Dès que survient une crise comme celles de l’attentat à la grande mosquée de Québec ou de l’autobus à la garderie éducative Ste-Rose, le gouvernement s’active en coulisses. La Sécurité civile et la Sécurité publique communiquent avec les ministères concernés, sous la supervision du bureau du premier ministre.

La question se pose ensuite : que dire au public ?

Mercredi matin, moins d’une heure après que la nouvelle a éclaté, trois ministres ont sauté la période de questions pour se rendre en voiture à Laval. « On leur a dit : “Allez-y tout de suite, on se parlera en chemin pour décider quoi faire” », explique M. Dionne.

Le lendemain, François Legault s’y est rendu à son tour.

Au fédéral, la même séquence a été observée. Les ministres Pablo Rodriguez et Marco Mendicino s’y sont recueillis jeudi en début de journée, et Justin Trudeau est venu faire un tour en soirée.

Les ministres ont un rôle opérationnel. Celui du premier ministre est plus symbolique.

MM. Trudeau et Legault préféraient ne pas être sur place mercredi pendant que les pompiers et les policiers étaient encore au travail. Ils ne voulaient pas donner l’impression de les encombrer ou d’attirer l’attention sur eux-mêmes.

Mais jeudi, quelle était leur utilité ?

Leur présence était d’abord utile pour la communauté touchée. Lors d’un drame, un politicien ne représente pas son parti ou son gouvernement. Il incarne l’État. Par sa présence, il montre que le deuil est reconnu et partagé par tout le Québec.

« À Sainte-Marthe-sur-le-Lac, des gens prenaient M. Legault dans leurs bras. De voir une figure d’autorité sur place, ça semblait sincèrement leur faire du bien. On ne peut pas comprendre ça tant qu’on ne l’a pas vécu », dit M. Dionne.

Quand le drame est une catastrophe naturelle où les mesures de prévention ou d’indemnisation seront critiquées, on s’attend moins à voir les politiciens s’unir et parler ensemble.

Ce n’était pas le cas à Laval. Afin de bien représenter tout le Québec, le premier ministre devait s’afficher en présence des chefs de l’opposition. On leur a même fourni des gerbes de fleurs du même modèle afin d’unifier le geste commémoratif.

Si un politicien se rend sur les lieux, c’est aussi pour apprendre. Vu de loin, on peut avoir une compréhension intellectuelle. Mais rien ne vaut une présence sur le terrain pour écouter les gens, saisir leurs besoins, sentir l’émotion et avoir la motivation d’agir ensuite.

Et enfin, il y a une autre raison qui explique le passage des politiciens : ils en sentent tout simplement le besoin. Le chef libéral intérimaire, Marc Tanguay, avait la larme à l’œil. Et Gabriel Nadeau-Dubois et Paul St-Pierre Plamondon, de jeunes papas, avaient le motton. Comme tant d’autres Québécois, ils voulaient témoigner de leur solidarité.

Ceux qui ont vécu des crises le savent : l’humeur populaire peut vite basculer. Chercher un coupable est un réflexe commun. Le gouvernement doit aussi vérifier s’il a une responsabilité directe ou indirecte.

C’est pourquoi au cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, on s’activait pour savoir si l’accusé avait déjà obtenu ou demandé des soins de santé mentale. La réponse fut négative.

« J’aurais fait la même chose », m’a confié Charles Robert, ex-directeur de cabinet adjoint de Philippe Couillard. Après l’attentat à la grande mosquée de Québec, son gouvernement avait vérifié la teneur politique des meurtres. En milieu de soirée, une cellule de crise était créée. Les réunions se déroulaient au moins une fois par heure. Il fallait notamment vérifier les informations contradictoires, trouver un avion pour faire venir M. Couillard du Lac-Saint-Jean et réfléchir à la réaction officielle. Vers 3 h, le premier ministre était sur place pour parler aux médias.

Un autre modèle de réactivité est Pauline Marois après l’effroyable accident de train à Lac-Mégantic. Son message était clair et fort : les gens recevront de l’aide rapidement, il n’y aura pas de tracasseries administratives. Elle s’est aussi démarquée par son écoute et son élégance – elle partageait la caméra avec la mairesse de la municipalité, Colette Roy Laroche.

A contrario, le ministre libéral des Transports, Laurent Lessard, paraissait presque fâché d’être dérangé par les journalistes en mars 2017 après la tempête nocturne qui avait paralysé l’autoroute 13.

Les élus doivent se faire une carapace. Régis Labeaume l’avait appris après avoir été enguirlandé par des sinistrés de L’Ancienne-Lorette1.

N’empêche que si les élus ne se font pas voir, on le leur reproche. Les libéraux avaient déploré que François Legault ne se soit pas rendu sur le terrain après les fusillades du 23 août dernier à Montréal. Les critiques contre M. Legault avaient mieux passé quand elles sortaient de la bouche de la famille d’une autre victime, celle de l’adolescent Jannai Dopwell-Bailey.

Comme quoi, dans le doute, mieux vaut se montrer le visage. Et mieux vaut aussi doser ses attaques.

1 Visionnez la vidéo des sinistrés en colère de L’Ancienne-Lorette