On le devine sans peine, le travail d’un député n’est pas toujours exactement une partie de plaisir. À la longue, ça peut même devenir plutôt lourd, toutes ces demandes de citoyens désemparés face à la grosse machine bureaucratique.

« Le personnel d’un bureau de député est souvent composé de gens qui ont un profil de travailleur social, me confie le député bloquiste de Jonquière, Mario Simard. Il ne s’agit pas tant d’élaborer des stratégies politiques que de répondre à des gens découragés par la lourdeur du système. »

Il arrive qu’un élu ne puisse rien faire pour eux. Mais, de temps à autre, il parvient à changer leur vie. En portant leur voix au Parlement. En se démenant pour faire bouger les choses. En apportant la touche humaine qui semble manquer à l’appareil gouvernemental.

C’est le genre de petits miracles qui redonne foi en la politique et qui se produit dans toutes les circonscriptions du pays. Mais, étrangement, on dirait que les choses ne fonctionnent pas comme ça dans celle de Chicoutimi–Le Fjord…

Letitia Cruz et son fils, Raul Cruz, ont fui les violences au Salvador en 2019. Leur périple, à pied et en autocar, a été long et périlleux. Il leur a fallu plus d’un mois pour atteindre le chemin Roxham, qu’ils avaient localisé « sur Google Maps », me raconte Raul Cruz.

Une fois au Québec, ils ont pris la route de Chicoutimi, où habite la sœur de Letitia depuis un quart de siècle. Ils ont trouvé du travail. Appris le français. Apprivoisé la neige. Bref, ils ont fait du Saguenay leur nouvelle maison. Et ils ont appris à l’aimer.

Au bout de quatre ans, la bureaucratie a frappé, sous forme d’un avis d’expulsion : la mère et le fils devaient quitter le Canada au plus tard le 8 décembre.

Désespérés, ils ont fait appel au député fédéral de leur circonscription, Richard Martel. Mais l’élu conservateur a rejeté leur demande d’aide sur-le-champ. Il a refusé de même jeter un œil à leur dossier !

On parle de réfugiés illégaux, qui ont passé par le chemin Roxham, pendant qu’il y a des réfugiés légaux qui attendent ! Ce cas-là, c’est des réfugiés illégaux. Moi, je n’embarque pas là-dedans.

Richard Martel, lundi, sur les ondes de Radio-Canada

Mardi, le député conservateur de Chicoutimi–Le Fjord a reçu une volée de bois vert de la part de ses opposants politiques, à Ottawa. Et pour cause.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député conservateur de Chicoutimi–Le Fjord, Richard Martel, en 2018

Letitia Cruz et Raul Cruz ne sont pas des « réfugiés illégaux ». Ils ont un permis de travail. Une demande d’asile pendante. Ils n’ont commis aucun crime.

Ni eux ni personne ne devrait jamais être traité d’immigrant illégal. On peut parler d’immigrant irrégulier, et encore : le chemin Roxham est pratiquement devenu un passage régulier pour des dizaines de milliers de demandeurs d’asile au Canada.

Un système parallèle encadré et géré à coups de centaines de millions de dollars par le gouvernement fédéral…

Ça pourrait bientôt changer. Les négociations amorcées avec Washington pour moderniser l’Entente sur les tiers pays sûrs seraient enfin sur le point d’aboutir. Mais en attendant, il faut se rappeler qu’on n’a pas seulement affaire à des chiffres.

On a affaire à des êtres humains. Ce que le député de Chicoutimi–Le Fjord semble avoir oublié, dans cette histoire.

Le problème majeur de M. Martel, c’est de ne pas faire la distinction entre la critique légitime qu’on adresse au gouvernement fédéral à propos du chemin Roxham et les gens qui passent par le chemin Roxham.

Mario Simard, député bloquiste

La famille Cruz, c’est le vrai monde derrière les débats politiques. Les deux Salvadoriens ne parlaient même pas encore français quand Sihem Mannai les a embauchés pour travailler dans ses restaurants.

Ça donne une idée de l’ampleur de la pénurie de main-d’œuvre qui frappe le Saguenay. Le secteur de la restauration est particulièrement touché, dit en soupirant Mme Mannai. « Avant, nous étions 24 à travailler. Maintenant, nous sommes 11. Si vous m’enlevez deux employés à temps plein, je ne peux plus opérer. »

L’entrepreneure a remué ciel et terre pour sauver ses deux employés – et son entreprise, du même coup. « Je fais un chiffre d’affaires de 1,3 million. Ce n’est pas de la rigolade. J’ai d’autres employés, j’ai un commerce, il faut qu’il marche ! »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le député bloquiste de Jonquière, Mario Simard, en 2019

Elle s’est tournée vers Mario Simard, dans la circonscription voisine, après avoir essuyé le refus de Richard Martel. « Le député de Jonquière, il m’a acceptée tout de suite. Il a été vraiment très gentil. C’est grâce à lui que mes employés ont pu rester. »

Richard Martel refuse-t-il de traiter en bloc les dossiers des demandeurs d’asile qui ont le malheur d’emprunter le chemin Roxham ? A-t-il plutôt trouvé cette excuse pour justifier son refus d’examiner le dossier de la famille Cruz ?

Difficile à dire, puisque ma demande d’entrevue auprès du député de Chicoutimi–Le Fjord est restée sans réponse, mardi.

Mario Simard penche pour la seconde explication. Certains députés, croit-il, préfèrent dire aux citoyens en détresse qu’il n’y a rien à faire plutôt que d’utiliser les leviers qui sont à leur disposition pour tenter de leur venir en aide.

Dans le cas de la famille Cruz, il y avait bel et bien quelque chose à faire. « C’est en collaborant avec les gens du cabinet du ministre [de l’Immigration, Sean Fraser], en présentant la situation, en leur disant que ça n’avait pas d’allure » que Mario Simard a pu obtenir un sursis pour les deux Salvadoriens.

L’avis d’expulsion a été révoqué à la toute dernière minute. Letitia Cruz et son fils ont eu droit à un statut de résidents temporaires.

Et c’est ainsi qu’à la veille de Noël, Mario Simard a changé la vie de deux êtres humains. « C’est valorisant, admet-il. Mais cela fait partie du travail qu’on a à faire. Tu es député, tu es supposé offrir tes services à l’ensemble de la population. Tu ne peux pas dire : ceux-là ne répondent pas aux orientations idéologiques de ma formation politique, donc, je ne m’en occuperai pas. Tu ne peux pas faire ça. »