Jagmeet Singh existe. Le chef du NPD a tenu à le rappeler à tous avant la fin des travaux parlementaires à Ottawa.

C’est l’hypothèse la plus plausible pour expliquer sa menace de retirer son appui au gouvernement libéral.

Devant les caméras, M. Singh a exhorté Justin Trudeau à régler la crise dans les urgences pédiatriques. Sans quoi, il pourrait déchirer l’entente.

Pour l’instant, même les individus de nature inquiète réussissent à gérer leur peur.

M. Singh avoue lui-même ne pas avoir envie de déclencher des élections en 2023. Et même s’il déchirait l’entente, les libéraux ne seraient pas automatiquement renversés. Cela signifierait simplement qu’en cas de vote de confiance, le NPD ne leur assurerait plus son appui. Pour dissoudre la Chambre, il faudrait que chaque parti de l’opposition vote contre le gouvernement.

Et de toute façon, les demandes de M. Singh sont assez imprécises pour pouvoir être satisfaites.

L’entente entre le PLC et le NPD portait sur plusieurs sujets. En santé, elle comptait trois mesures : créer un programme dentaire pour les gens qui gagnent moins de 90 000 $ par an, adopter une loi avant 2024 pour instituer un régime pancanadien d’assurance médicaments et, enfin, bonifier le financement des soins.

La première condition est en voie d’être réalisée. Comme prévu, les soins dentaires pour les 12 ans et moins seront remboursés cette année, et ils devraient aussi l’être en 2023 pour les 18 ans et moins, et en 2025 pour tous les Canadiens ayant un revenu assez modeste.

La deuxième condition sera complexe. On en entend peu parler, mais il reste du temps.

Pour le financement de la santé, heureusement pour M. Trudeau, l’entente ne cite pas de chiffres.

Quinze mois après sa réélection, le premier ministre refuse encore de négocier avec les provinces. Pendant qu’il s’entête, les patients souffrent. Un hôpital pour enfants d’Ottawa a dû faire appel à la Croix-Rouge, et un autre de Calgary utilise une remorque chauffée pour abriter des patients. L’accès aux soins recule, et ces histoires ont fait le tour du pays.

Cela explique pourquoi M. Singh s’impatiente. Reste que l’entente ne lui fournit pas encore de motif assez précis pour s’en retirer.

M. Singh a passé un automne discret, ce qui n’est jamais bon signe pour un chef de l’opposition.

Mercredi à la Chambre des communes, des députés se sont spontanément mis à rire quand il a parlé des promesses qu’il respecterait lorsqu’il sera premier ministre.

Ce n’est pas gentil. Qu’on aime ou non ses idées, M. Singh a fait passer ses principes avant ses intérêts. Comme chef du troisième groupe de l’opposition, son pouvoir est faible. Il a malgré tout obtenu des gains pour des enjeux qui lui tiennent à cœur, au risque de ne pas pouvoir s’en attribuer le mérite et de déplaire à ses militants les plus intransigeants.

Voilà pourquoi, de temps à autre, il lève le ton. Mais il n’a pas intérêt à déclencher une campagne, comme le montre la récente élection partielle dans Mississauga-Lakeshore. Sa candidate a récolté 4,9 % des votes. Encore pire que les 9,76 % d’appuis en 2021. Ça n’augure rien de bon pour la suite.

Ce n’est donc pas Justin Trudeau qui devrait s’inquiéter en entendant Jagmeet Singh. Ce sont plutôt les provinces.

M. Trudeau veut empiéter sur les pouvoirs des provinces, et M. Singh l’incite à s’y aventurer encore plus loin.

Le chef néo-démocrate reproche à M. Trudeau de ne pas payer les travailleurs de la santé plus de 25 $ l’heure et de ne pas avoir embauché 7500 médecins et infirmiers comme il l’avait promis en campagne.

Il semble aussi aveugle au risque de mauvaise gestion avec son programme dentaire. La vérificatrice générale vient d’étaler au grand jour les ratés de l’Agence du revenu pour gérer les allocations d’aide durant la pandémie, et l’histoire pourrait se répéter.

C’est un problème de compétence, dans tous les sens du terme.

Selon la Constitution, la santé relève des provinces. Et en pratique, le fédéral obtient de mauvais résultats quand il s’y ingère. Une preuve parmi tant d’autres : le gaspillage de doses de vaccin pour la COVID-19 et la pénurie de médicaments antidouleur pour enfants.

En ce sens, M. Singh est à la fois un allié et un adversaire des provinces. Il veut leur donner plus d’argent, mais aussi leur imposer plus de contraintes dictées par des fonctionnaires éloignés du terrain.

M. Trudeau boudera ses homologues tant qu’il n’y aura pas eu d’entente avec les ministres de la Santé sur la façon de dépenser l’argent. Mais ces derniers refusent – du moins, pour l’instant – de céder sans avoir reçu une garantie que le transfert sera augmenté.

Il est là, le nerf de la guerre. Avec son bluff électoral, M. Singh essaie de s’inviter au débat. Mais sa menace ne pèse pas beaucoup plus lourd que sa popularité.