La politique n’est pas comme un film hollywoodien.

Il ne suffit pas d’annoncer quelque chose, comme dans Le champ des rêves, pour que le miracle s’accomplisse. La récente série de ratés administratifs à Ottawa est venue le rappeler, que ce soient les vaccins gaspillés, les logements inabordables, l’itinérance qui passe sous le radar ou les milliards en aide inutile durant la pandémie.

Elle montre les limites de la politique telle que la pratique Justin Trudeau. Et le risque associé aussi à ses projets en santé.

En campagne électorale, les citoyens n’ont pas le choix de s’en remettre à la parole des chefs. Le débat devient un concours de valeurs. Là-dessus, M. Trudeau excelle. Il promet « d’être là » pour les Canadiens.

Ça fonctionnera ? Impossible de le vérifier à l’avance. Voter, c’est un acte de foi.

Contrairement au cliché, les gouvernements tiennent parole la plupart du temps. Ils ne sont pas malhonnêtes, mais cela ne les rend pas compétents non plus.

Pour la fiscalité, ce n’est pas trop compliqué. Un crédit d’impôt se règle avec une signature. Mais les programmes sociaux sont plus casse-gueule.

Ce défi est encore plus grand pour un gouvernement fédéral et interventionniste comme celui de M. Trudeau, qui veut augmenter le nombre de programmes gérés par une fonction publique lourdaude et éloignée du terrain, sur laquelle il a un contrôle imparfait.

Après sa victoire en 2015, M. Trudeau en était conscient. Il avait fait venir du Royaume-Uni Michael Barber, ex-conseiller de Tony Blair et expert en résultologie (deliverology), un mot de gestion à la mode qui réfère simplement à l’art de réaliser ses promesses.

La gestion ordinaire des dossiers est déjà parfois pénible, comme le démontrent le fiasco de la délivrance des passeports l’été dernier et les délais en immigration. Pendant que M. Trudeau prétend que le Québec pourrait doubler le nombre d’immigrants qu’il reçoit par année, le Canada multiplie les retards dans le traitement des demandes d’asile. À cause de sa propre incurie, le fédéral retarde la délivrance de permis de travail, et empêche de nouveaux arrivants de trouver un emploi.

La réalisation des promesses est pire.

Ce n’est pas mieux pour le logement et l’itinérance. Là aussi, les libéraux ne manquaient pas d’ambition. Ils se sont engagés à réduire l’itinérance de moitié. Infrastructure Canada et la Société canadienne d’hypothèques et de logement y travaillent notamment. Mais leurs programmes, de 1,3 milliard et de 4,5 milliards, ne sont pas coordonnés. Fonctionnent-ils ? Dur à dire, car Ottawa ignore si le nombre de sans-abri a diminué. Les logements censément abordables coûtent aussi souvent trop cher pour que les gens démunis en profitent — particulièrement en Ontario et au Manitoba.

Si la gestion ordinaire des affaires de l’État et la réalisation des promesses est laborieuse, c’est encore plus difficile en temps de crise.

L’achat de vaccins a été un succès. Le risque a été réduit en s’approvisionnant auprès de sept fournisseurs. La suite a toutefois été moins glorieuse. Près de 24 millions de doses ont atteint leur date de péremption ou l’atteindront bientôt. Et près de 21 millions de doses promises à d’autres pays sont menacées d’aboutir elles aussi à la poubelle.

Et enfin, il y a l’aide versée durant la pandémie. Le récent rapport de la vérificatrice générale à ce sujet est dévastateur.

Il est normal que le programme n’ait pas été parfaitement ciblé. C’était le prix à payer pour envoyer l’argent en urgence. Or, les erreurs se sont prolongées bien après le printemps 2020, quand des ajustements auraient eu le temps d’être faits. Selon la vérificatrice, un soupçon pèse sur au moins 27 milliards de dollars des fonds distribués. Des gens obtenaient une prestation même s’ils travaillaient et des entreprises tendaient la main même si elles n’avaient pas perdu de revenus. Près de 1,2 million de dollars ont aussi été envoyés à des morts…

Et c’est ici que se trouvent deux grandes sources d’inquiétudes.

La première, c’est la réaction de la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier. Dans un rare affront, elle n’accepte pas toutes les recommandations de la vérificatrice. Et elle ne s’engage pas à faire le suivi exigé par la loi pour récupérer les possibles créances.

La deuxième inquiétude, c’est que ce scénario pourrait se répéter. Comme s’il était à la tête d’une machine finement rodée, M. Trudeau veut imposer des normes aux provinces et suivre leur application.

Pour obtenir l’appui du Nouveau Parti démocratique et sauver son gouvernement, M. Trudeau a également accepté de créer un programme d’assurance dentaire. L’année prochaine, il sera offert aux mineurs dont la famille gagne moins de 90 000 $ et qui ne possèdent pas d’assurance privée. En 2025, les adultes correspondant à ces critères y auront aussi droit.

Une fois de plus, voilà une belle promesse qui pourrait connaître un difficile atterrissage. Surtout si l’Agence du revenu du Canada n’apprend pas les leçons de la vérificatrice.

Pendant que M. Trudeau continue de débattre de valeurs et de vendre de la solidarité, la machine à livraison n’a pas été réparée.

Le plus « frustrant », écrivait la vérificatrice générale cet automne dans un rapport sur le logement, c’est que les ministères sont au courant des erreurs, mais ils ne s’ajustent pas.

Elle aurait aussi pu dire la même chose des élus.