Aux balbutiements de l’internet grand public, je vous parle de 1996-1997, un site du world wide web annonçait une grande découverte : l’album Dark Side of the Moon de Pink Floyd était synchronisé avec le film Le magicien d’Oz, lui servait de trame sonore, en quelque sorte…

Vrai, pas vrai ?

Mon ami Jean-Michel Gauthier et moi avions maintes fois regardé Le magicien d’Oz en synchronisant le film avec Dark Side of the Moon, et, oui, by Jove, les coïncidences entre l’action dans le film et le rythme de l’album étaient bluffantes…

Mais les gars de Pink Floyd ont toujours nié avoir synchronisé leur plus grand album avec Le magicien d’Oz, pour en faire une trame sonore subliminale⁠1. Légende urbaine, donc. Pas grave, nous y avons cru.

Tout ça pour dire que je suis allé voir l’exposition Their Mortal Remains, sur la vie et l’œuvre de Pink Floyd. J’ai eu des frissons tout au long de ma visite à l’Arsenal, moins à la vue des nombreux et formidables artefacts liés au groupe que par le voyage nostalgique que je me suis payé vers ma jeunesse…

Pour être clair : Pink Floyd était déjà un « vieux » groupe quand j’avais 17-18 ans, un groupe de l’époque de la jeunesse de mes parents. Comme mes parents, Pink Floyd était séparé depuis longtemps quand je suis sorti de l’adolescence ; comme mes parents, Roger Waters et David Gilmour s’étaient tapé un divorce acrimonieux…

Dans le sous-sol de la maison des parents de mon ami Martin Thibault, à Sainte-Rose, on écoutait les albums de Pink Floyd. Il m’avait raconté — j’étais sûr que c’était une légende urbaine — que Pink Floyd avait fait flotter des cochons géants dans le Stade olympique, quand le band était passé à Montréal, naguère…

En tout cas, se disait-on, que ce soit vrai ou pas, l’affaire des cochons géants, c’est sûr que les gars de Pink Floyd avaient écrit quelques tounes en étant bien gelés et qu’ils avaient dû les voir, dans leur imagination, de façon synchronisée, ces cochons géants.

J’étais fasciné par la musique planante de Pink Floyd, bien sûr, mais je suis surtout devenu envoûté par les paroles. Je sortais de l’adolescence, la vie m’angoissait et me faisait peur, j’étais pétri d’incertitudes et je cherchais un sens à la vie, à ma vie.

La première chanson de Pink Floyd qui m’a fait triper, c’était Learning to Fly, hyper rythmée, sur Momentary Lapse of Reason. Mais c’est avec Time, sur Dark Side of the Moon, une chanson sur le temps qui passe, que j’ai craqué pour les paroles de Pink Floyd.

And you run, and you run to catch up with the sun but it’s sinking
Racing around to come up behind you again
The sun is the same in a relative way but you’re older
Shorter of breath and one day closer to death

Traduite en français – Tu as le souffle plus court et la mort approche —, cette phrase perd de sa musicalité, de sa densité poétique. Je ne sais pas encore, à ce jour, si c’est une phrase objectivement parfaite ou une phrase qui était parfaite pour le jeune homme mélancolique que j’étais. Je sais qu’elle me donnait le vertige, je devinais ceci : dépêche-toi, ça passe vite, la vie.

Je me souviens que la première fois que j’ai vu la photo qui orne l’album Wish You Were Here, j’étais troublé : deux hommes se serrent la main, l’un d’eux est en feu. On aurait dit que le gars en feu revenait de la fin du monde. Dans l’expo, on apprend que le photographe n’a eu le temps de prendre qu’une poignée de clichés avant qu’un coup de vent ne mette le feu au visage du cascadeur…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

L’exposition Their Mortal Remains, à l’Arsenal

Wish you Were Here, justement, parlons-en. C’est une chanson parfaite sur les dilemmes de la vie, sur les choix qu’on fait. Sur les compromissions, aussi, auxquelles on cède. Il n’y a pas une ligne superflue dans cette magnifique chanson.

Did they get you to trade
Your heroes for ghosts ?
Hot ashes for trees ?
Hot air for a cool breeze ?
Cold comfort for change ?
Did you exchange
A walk-on part in the war
For a lead role in a cage ?

La dernière question — As-tu échangé un rôle de figurant dans une guerre… Pour un premier rôle dans une cage ? — est une image parfaite et parfaitement écrite, je veux dire par là qu’après avoir écrit une ligne semblable, tu peux mourir : ta job sur terre est faite, c’est dans la catégorie de Je suis l’océan / Qui veut toucher ton pied, dans Tu m’aimes-tu ?, de Richard Desjardins…

Mourir ? Mon ami Jean-Michel, que j’évoquais plus haut, est mort avant d’avoir accompli sa job sur terre, c’est-à-dire devenir le meilleur journaliste au Québec. Il est mort en 2002 dans un accident de voiture et j’ai cité Wish you Were Here quand j’ai parlé à ses funérailles, à l’église, à Hull : How I wish, How I wish you were here, mon gars…

(Si tu lis cette chronique, JM : ta nièce m’a écrit, l’autre jour. Elle t’a à peine connu, mais l’écho de ta légende vit encore… Ton urne est dans une forêt de cet Outaouais que tu aimais tant — If you can hear this whispering, you are dying, comme on entend au début de The Great Gig in the Sky, sur [notre] Dark Side of the Moon…)

Cette semaine, quand l’héritier est arrivé à la maison, je l’ai serré dans mes bras, brièvement comme il faut le faire avec les ados. Il a à peu près l’âge que j’avais quand je cherchais encore le sens de la vie dans les paroles des chansons. Lui, c’est le rap qui le fait triper. Je soupçonne qu’il s’attarde aux paroles, lui aussi. Je soupçonne qu’il cherche un sens à la vie, à sa vie. Ne riez pas, il y a du très bon rap, à chaque époque sa poésie.

Mais je m’égare. Je voulais vous dire que lorsque je suis arrivé à l’expo de Pink Floyd, après avoir payé mon billet — 50 $, pas donné, mais pour les fans, c’est pas du vol —, quelle est la première chose que j’ai vue de cette expo Their Mortal Remains, à l’Arsenal ?

Cristie, oui, le fameux cochon géant ! Il flottait, près du plafond.

J’ai pris une photo du cochon rose, je l’ai envoyée à Martin Thibault, sans commentaire. J’ai regardé la photo, j’ai pensé : on parlait de ce mythique cochon, Martin et moi, il y a, quoi…

Fuck, il y a 32 ans.

Shorter of breath, and one day closer to death.

1. « Dark Side of the Rainbow, Dark Side of Oz ou encore The Wizard of Floyd sont des expressions synonymes désignant l’association de l’album The Dark Side of the Moon de Pink Floyd et du film Le magicien d’Oz sorti en 1939. Par moments, l’album semble synchrone avec le film, laissant à croire qu’il aurait pu être composé à cet effet. Les membres de Pink Floyd nient toute synchronicité… »

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