Aussi bien vous le dire tout de suite : ma tête n’est pas faite sur notre système de scrutin. Je pense spontanément à cette phrase : deux choses peuvent être vraies.

Vrai : notre système uninominal majoritaire à un tour crée parfois des distorsions absurdes et injustes. Comme un gouvernement élu par 41 % des Québécois qui récolte une super majorité de 90 députés sur 125, 72 % des sièges.

Comme le Parti québécois qui transforme 14,6 % des voix en trois sièges… contre 21 sièges pour 14,4 % des voix au Parti libéral.

Vrai : un scrutin purement proportionnel, comme beaucoup l’espèrent depuis lundi soir, serait probablement un aller simple pour un système politiquement instable.

Je sais qu’il existe d’autres formes de proportionnelles.

Mais beaucoup de citoyens font circuler depuis lundi soir des projections d’élection-fiction basées sur le portrait d’une Assemblée nationale désignée par une proportionnelle pure, en extrapolant à partir des pourcentages récoltés par les cinq principaux partis en lice.

Je résume : la CAQ serait majoritaire dans ce scénario d’élection-fiction, et les quatre autres partis seraient différemment représentés à l’Assemblée nationale.

Et tous ceux qui rêvent d’un scrutin basé sur la proportionnelle pure (x % du vote = x sièges) disent, en relayant ces graphiques : là, là, ce serait juste !

Permettez que j’apporte un bémol à cet enthousiasme.

D’abord, l’évidence : les Québécois ne voteraient pas de la même façon dans un système à la proportionnelle. La personne qui a voté « stratégique » dans sa circonscription voterait-elle de la même façon à la proportionnelle ? Nul ne le sait, tous peuvent le soupçonner. Le péquiste qui ne vote pas dans Westmount irait-il voter ? Probablement.

Juste pour cette raison, prendre les pourcentages du vote populaire exprimé lundi et les projeter dans une Assemblée nationale fictive où chaque parti a un nombre de députés équivalent à son pourcentage des voix est salement limité.

Ensuite, ce système favorise la multiplication des partis. Prenez Israël. La seule barrière pour accéder à la Knesset est de récolter 3,25 % des voix. Ensuite, le nombre de sièges est proportionnel au pourcentage récolté. En principe, c’est fantastique. Dans le réel, c’est problématique.

L’actuel gouvernement israélien est un gouvernement de coalition. C’est souvent le cas. Savez-vous combien de partis forment la coalition ?

Huit.

Peu de gouvernements israéliens se rendent au terme d’un mandat de quatre ans, à cause de l’instabilité. Les coalitions, dans un tel système, sont souvent instables, forcément.

Depuis 2019, les Israéliens ont été appelés aux urnes quatre fois. Et ils sont appelés aux urnes une nouvelle fois, le 1er novembre. Cinq élections en trois ans.

La proportionnelle pure qui fait tant fantasmer depuis lundi favorise aussi la création de partis marginaux. Si QS est trop à gauche pour vous, soyez assuré qu’il y aurait des partis encore plus à gauche dans un système de proportionnelle… qui pourraient détenir la balance du pouvoir. Idem pour l’espace politique à droite d’Éric Duhaime : il serait occupé par des partis.

Notre système uninominal majoritaire à un tour produit des distorsions qui sont autant d’injustices. Bien sûr. Mais il produit aussi une stabilité dont on sous-estime l’importance. C’est cette stabilité qui permet d’adopter des lois qui ne seraient probablement jamais adoptées dans des Parlements de coalition.

Un exemple : la loi 101. Le PQ de 1976 a été élu avec 41 % des voix, pour une majorité confortable de 71 sièges sur 110. Tous les autres partis étaient opposés à la loi 101. Dans un système à la proportionnelle pure comme beaucoup le souhaitent depuis lundi, pas sûr que la loi 101 aurait vu le jour.

Le système de proportionnelle mixte espéré par le Mouvement démocratie nouvelle (MDN) conserverait 125 sièges de députés. Mais le Québec passerait à 80 circonscriptions : tout le monde voterait pour « son » député. Les 45 autres sièges seraient dits « de compensation », où on voterait pour un parti à partir d’une liste de candidats⁠1.

Donc, lundi, vous auriez pu voter pour « votre » député ET pour un autre parti qui vous a impressionné.

Seuil d’entrée à l’Assemblée nationale de ce modèle : 10 % des voix, pour le volet compensation.

Est-ce que ce système de proportionnelle mixte produirait des distorsions ? Peut-être, mais on ne sait pas comment les gens voteraient dans un système de proportionnelle mixte.

Est-ce que ce système produirait de l’instabilité ? Difficile à dire : on ne sait pas combien de partis verraient le jour dans un tel système.

J’ai envie de dire, parfois, que je préférerais le système actuel, mais avec une division plus juste des 125 circonscriptions.

Une personne, un vote, point, genre. Car le Montréalais que je suis grince des dents en constatant que la circonscription montréalaise de Gouin (42 067 électeurs inscrits) a le même poids politique que la circonscription nord-côtière de René-Lévesque (32 522 électeurs inscrits) et que celle des Îles-de-la-Madeleine (11 151).

Ça aussi, c’est une injustice : le vote des citoyens des régions a plus de poids que celui des urbains.

Mais dans ces moments-là, je me ressaisis : le Québécois en moi trouve que la formule purement mathématique « une personne, un vote » serait injuste pour mes compatriotes qui n’habitent pas les grands centres, même si elle est plus juste pour les électeurs des grands centres. Le grand territoire du Québec fait partie de son identité et il doit vivre, politiquement. C’est une injustice que j’accepte.

Bref, comme je disais : deux choses peuvent être vraies. Le système actuel peut créer des injustices, mais la solution de rechange n’est pas forcément plus juste.

1. Consultez la représentation graphique de Radio-Canada « Et si la CAQ avait réformé le mode de scrutin ? »