Avant d’écrire la chronique sur Amélie Champagne, lundi soir, je me demandais comment j’allais raconter sa mort tragique1. J’avais en tête une chronique à message, avec de l’éditorial, montrer où le système avait peut-être flanché.

Puis, j’ai relu mes notes.

Et je me suis dit, fuck les messages : le récit des derniers jours, des dernières heures d’Amélie est assez fort et assez enrageant pour tenir tout seul.

Se lancer en bas d’un balcon du 16e étage même pas deux jours après avoir reçu son congé d’une urgence psychiatrique, après une tentative de suicide : c’est une histoire qui n’a pas besoin de narrateur.

Et vous avez été des centaines à réagir. Des centaines à m’écrire pour me dire que vous aviez vécu la même chose, il y a six ans ou il y a six mois. Que votre frère avait vécu la même chose, ou votre amie, ou votre père…

Et comme chaque fois que j’écris sur des suicides de personnes mal – ou pas – prises en charge par le système de santé québécois, vos messages sont de longs cris du cœur que je lis souvent les yeux pleins d’eau.

Vous avez été nombreux à écrire à Paul Arcand qui, mardi, diffusait une entrevue avec Alain Champagne, le père d’Amélie2. Alain qui a décidé de faire de la mort absurde de sa fille, tombée dans les craques du système, son combat personnel.

Le message principal de ma chronique de lundi, il est bien simple : c’est pas la première fois que je l’écris, cette chronique-là, sur les gens qui meurent d’être tombés dans les craques du système.

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai écrit sur des personnes qui avaient manifesté des pensées suicidaires, des gens dont les mots et les comportements avaient allumé des drapeaux rouges partout dans leur entourage…

Et qui n’ont pas eu d’aide.

Je me souviens de Jean-François, de Lili, de Camille, de Roxanne, du fils de Stéphanie.

Certains se sont donné la mort peu après avoir été vus aux urgences. Comme Amélie Champagne.

Je me souviens aussi de Thomas, le fils de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer : l’ado s’est donné la mort et avait vécu difficilement une hospitalisation, dans le chaos d’une urgence psychiatrique.

Le même genre de chaos qui attendait aussi Amélie Champagne à l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke, alors qu’elle aurait eu besoin de calme, de sérénité, de dormir.

Bref, l’histoire tragique d’Amélie, ce n’est absolument rien de nouveau au Québec. Je sais pas si c’est la norme, nous n’avons pas de statistiques dans ce réseau chambranlant si mal organisé qu’il n’a souvent pas de données de base sur son propre fonctionnement : pensez à un mammouth qui ne sait pas que son arrière-train est le bumper d’une Lada.

Le ministre Carmant a annoncé une enquête pour savoir ce qui n’a pas fonctionné dans les heures et les jours qui ont précédé le saut dans le vide d’Amélie. On verra ce que ça va donner.

J’ai hâte d’avoir une réponse à cette question bien simple : pourquoi a-t-elle passé trois jours et deux nuits « en observation » sur une civière, au milieu d’une urgence chaotique où des psychotiques se font parker par la police et les ambulanciers ?

Je vais tenter une réponse, parce qu’à force d’écrire sur ces proverbiales craques du système dans lesquelles des vies s’engouffrent et s’éteignent, ces histoires se ressemblent toutes…

Y avait pas de lit.

Je vous parie que ça fait partie de ce qui s’est passé à Sherbrooke : il n’y avait pas de lit pour hospitaliser Amélie, même si elle avait verbalisé le goût de se pendre ET qu’elle avait tenté de se suicider par noyade DANS LES DEUX JOURS QUI ONT PRÉCÉDÉ SON ADMISSION À L’HÔTEL-DIEU DE SHERBROOKE.

Et malgré ça, malgré l’idéation de pendaison et la tentative concrète de suicide par noyade, pour le système, c’était pas assez pour hospitaliser Amélie Champagne.

Et à force d’entendre crier dans l’urgence, Amélie a fini par dire qu’elle voulait partir. Là-dessus, le système l’a accommodée sur un moyen temps.

Alain Champagne, le père d’Amélie, aurait voulu que l’Hôtel-Dieu hospitalise sa fille plutôt que de la transférer à Montréal. Il affirme qu’on lui a répondu que c’était impossible, parce que les patients et les patientes doivent être soignés dans leur code postal… 

Ça semble absurde, c’est même interdit par la loi3, mais je sais que ça se fait dans le réseau, que ce soit permis ou pas. Mardi, une Montréalaise m’a raconté la même chose à propos de sa sœur suicidaire : le CHUM n’a pas voulu la garder, parce qu’elle habite dans le nord de Montréal…

Donc, vous avez été nombreux à m’écrire, mardi. Pour me dire vos histoires d’horreur avec le système, pour me dire l’immense difficulté à faire soigner un proche en détresse. Je veux juste vous dire que vous avez toute mon admiration, mon empathie et ma solidarité. Je ne sais pas quoi vous dire d’autre sinon que, des fois, le système fonctionne. Je l’ai déjà raconté, c’était l’histoire de Catherine4.

Mardi, vous avez été nombreux à me demander ce que ça va prendre, pour que ça change… Oui, des réformes. Oui, des budgets. Bien sûr. J’en suis.

Mais pour que ça change, en société, je pense qu’il faut plus que des gens touchés et émus.

Il faudrait que ça vous mette en tabarn…

Quand vous êtes en tabarn… sur les accommodements raisonnables, sur la corruption dans les contrats publics, sur votre fardeau fiscal qui est trop élevé… L’État finit par bouger.

Peut-être qu’en santé mentale, c’est ce qui manque au Québec : une masse critique de citoyens qui sont plus qu’émus, qui sont carrément furieux.

Savez-vous pourquoi j’ai mis ces derniers mots en italiques ?

Parce que je me cite : j’ai écrit tout ça dans ces pages en avril 20195.

Quand je vous dis que ce n’est pas la première fois que je l’écrivais, la chronique sur Amélie : c’est toujours la même histoire, au fond, avec les ratés de ce système de santé qui est le nôtre.

1. Lisez « “Papa, je veux sortir d’ici” » 2. Écoutez l’entrevue d’Alain avec Paul Arcand 3. Consultez le site Vos droits en santé 4. Lisez « “Ma tentative de suicide m’a sauvée” » 5. Lisez « Il faudrait être en ta… »

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide