Le CHSLD Herron, de triste mémoire, est ce CHSLD privé non conventionné qui en est venu à symboliser le désastre de la prise en charge du virus dans les « milieux de vie » pour aînés, pendant la première vague du printemps 2020.

Le personnel infecté et effrayé a manqué à l’appel et des résidants abandonnés ont nagé dans leur urine et dans leurs selles, déshydratés et affamés, pendant des jours…

Score des courses : 47 morts.

Se pose alors la question : qui savait quoi, à quel moment, au gouvernement ?

« Qui » : ça va des proprios de la résidence aux dirigeants du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, en passant par les sous-ministres à la Santé et des ministres.

« Quoi » : ça va de la découverte d’une situation catastrophique à la prise en charge de ladite situation.

Mmes McCann et Blais – ministres de la Santé (à l’époque) et des Aînés (à ce jour), respectivement – ont toujours affirmé avoir appris l’ampleur de ce qui se passait à Herron quand le journaliste Aaron Derfel a publié les fruits effrayants de son enquête dans le Montreal Gazette, le 10 avril 2020.

Voilà qu’un courriel déposé à la fin des travaux de la commission d’enquête de la coroner Géhane Kamel, exhumé par Radio-Canada mardi, vient mettre en doute ces prétentions. Les cabinets de Mmes McCann et Blais ont appris dans la nuit du 29 au 30 mars que Herron avait été abandonné1.

C’est le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île qui a avisé Québec que quelque chose clochait à Herron, le 29 mars. La sous-ministre Natalie Rosebush avise, le 29 en soirée et le 30 mars peu après minuit, les cabinets des deux ministres du manque de personnel et d’une situation « très préoccupante » au CHSLD Herron.

Le 30 mars en soirée, la présidente du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île, Lynne McVey, avise le sous-ministre Yvan Gendron que « la situation est sous contrôle » au CHSLD Herron.

C’était faux, archifaux. Rien n’était alors « sous contrôle ».

Qui savait quoi, à quel moment, au gouvernement ?

Pas clair, deux ans plus tard.

Mardi, le PM Legault rejetait la faute sur le CIUSSS, une créature du ministère de la Santé. Et il est vrai que le CIUSSS (toujours présidé par Mme McVey) a au mieux induit Québec en erreur sur la situation à Herron et, au pire, failli à sa tâche de rétablir la situation.

Puis, mercredi, il rejetait la faute sur la direction du CHSLD privé, la famille Chowieri.

On dirait que pour le PM, c’est la faute de tout le monde, sauf de ses ministres.

Mais ce qui est particulièrement irritant avec les révélations de Radio-Canada, c’est qu’elles confirment que la chronologie de ce qui a été fait – et pas fait – dans les CHSLD (Herron inclus) diffère trop souvent selon les moments, selon les versions des protagonistes. Les faits contredisent trop souvent les versions de hauts fonctionnaires et de ministres.

Par exemple, des pans du témoignage de Mme McCann – désormais à l’Enseignement supérieur – devant la coroner Kamel ont été contredits par les faits. Idem pour les sous-ministres Gendron, Arruda et Rosebush, qui ont livré à la coroner des versions similaires sur une prétendue directive envoyée au réseau, l’exhortant à se préparer au coronavirus dès janvier 2020…

Or, cette directive de janvier 2020 ne disait absolument pas ce que les sous-ministres ont tenté de lui faire dire devant la coroner.

Si l’un ou l’autre des sous-ministres avait affirmé cela à la coroner Kamel, on pourrait croire à un malentendu, à un trou de mémoire. Mais quand trois sous-ministres parlent de la même façon d’une directive qui ne dit pas ce qu’on lui fait dire, alors là, on est dans la nage synchronisée.

J’ai dénoncé ces témoignages vaseux de fonctionnaires et de ministres chez la coroner Kamel, en novembre, ici2 et ici3.

Marguerite Blais, elle, change ses versions sur ses interventions dans la crise des CHSLD selon les tribunes. Elle dit une chose à l’émission Enquête ; en dit une autre à Alec Castonguay pour son livre Le printemps le plus long et encore une autre aux journalistes de La Presse Gagnon, Lacoursière et Duchaine pour leur livre 5060 – L’hécatombe de la COVID-19 dans nos CHSLD…

Puis, devant la coroner Kamel, la ministre Blais a encore une autre version.

Et avec le courriel révélé par Radio-Canada mercredi, c’est un autre cas où des gens au sommet de la pyramide du mammouth de la Santé se font prendre en délit de témoignage pas très clair à la coroner Kamel. Ça commence à faire beaucoup.

La coroner Géhane Kamel, je le rappelle, malgré un an et demi de travaux et 220 témoins, a déclaré en janvier qu’elle n’était pas capable d’avoir « une version qui se tienne » concernant la gestion des CHSLD dans la première vague, de la part tant des élus que des fonctionnaires4.

C’est sûr que de contradiction en oubli et absence de traces écrites, élus et fonctionnaires ont un beau canevas pour réarranger la chronologie de qui savait quoi, à quel moment au sujet des CHSLD comme Herron.

Quelques questions, en terminant.

Pourquoi Marguerite Blais a-t-elle même été sélectionnée au gouvernement, si ce n’est pour jouer le rôle politiquement attendrissant de mascotte des vieux ?

Ses multiples changements de version sont gênants. Son utilité, plus que discutable.

Pourquoi Lynne McVey est-elle encore présidente du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île ?

Elle n’a pas dit la vérité à son sous-ministre, le 30 mars, en affirmant que la situation était « sous contrôle » au CHSLD Herron.

Et plus largement, pourquoi le gouvernement Legault refuse-t-il encore de déclencher une véritable commission d’enquête publique sur la pandémie ?

Je ne vois qu’une seule hypothèse pour répondre à cette dernière question : François Legault y résiste pour les mêmes raisons qui expliquent pourquoi Jean Charest résistait à l’idée de déclencher une commission sur les scandales de financement, il y a une décennie…

Parce que ça va fatalement faire mal à son gouvernement.

1. Lisez « CHSLD Herron : Blais et McCann informées de l’urgence 10 jours avant The Gazette » 2. Lisez la chronique « Les couleuvres du mammouth de la Santé » 3. Lisez la chronique « Spin le mammouth » 4. Lisez « CHSLD : sans réponse, la coroner s’avoue “sidérée” »