Mardi fut une mauvaise journée pour le système de santé québécois. Et une mauvaise journée pour le gouvernement qui l’administre, ce système.

D’abord pour le politique : au petit matin, Thomas Gerbet, de Radio-Canada, a sorti une nouvelle (1) qui a fini de contredire (2) ce que l'ex-sous-ministre Yvan Gendron et la sous-ministre Natalie Rosebush, avaient dit à la coroner Géhane Kamel, qui enquête sur l’hécatombe de la première vague dans certains CHSLD.

Non, les rapports d’inspection dans ces CHSLD particulièrement frappés par le virus n’ont pas été faits verbalement. C’est pourtant ce que M. Gendron et Mme Rosebush avaient affirmé. Radio-Canada a présenté ces formulaires.

Si Mme Rosebush avait été la seule à parler de rapports d’inspection verbaux, on pourrait penser à quelque chose comme un oubli de sa part. Mais quand deux sous-ministres affirment aussi la même chose, ça sent le spin appris par cœur, ça sent l’odeur du vernis.

Ensuite, en milieu d’après-midi, la protectrice du citoyen Marie Rinfret a présenté son propre rapport d’enquête sur l’hécatombe en CHSLD dans la première vague, début 2020. Mme Rinfret a reçu 1300 témoignages et interviewé 250 personnes.

Le constat principal de la protectrice du citoyen était déjà connu : en se préparant dans l’urgence, le système de santé québécois a tout misé sur la protection des hôpitaux, négligeant les CHSLD.

Il y a des raisons systémiques à cela : le système, déjà hospitalocentriste, le fut encore plus.

Et il y a des raisons ponctuelles : le scénario à l’italienne – des hôpitaux si submergés en mars 2020 qu’ils ne pouvaient plus fonctionner – pesait sur l’esprit des gestionnaires québécois, aux premiers jours de la pandémie.

Le Québec n’a pas brillé plus que d’autres par sa préparation et sa prévoyance. Il faut le dire, et la protectrice fait la part des choses. Mais quand même, Mme Rinfret détaille à quel point le mammouth de la Santé – mon expression, pas la sienne – a brillé par sa lourdeur avant et pendant la première vague.

Oui, le scénario italien effrayait les esprits, début mars 2020. Mais la Colombie-Britannique, elle, avait quand même sécurisé ses CHSLD et autres « care homes » avec des mesures costaudes, dès le début du mois de mars.

La protectrice du citoyen mentionne à quelques reprises que le mammouth de la Santé ne disposait pas de données fiables pour agir, aux balbutiements de la pandémie, qu’il s’agisse du nombre de cas dans les CHSLD ou chez les employés.

Exemple numéro un : « À un certain moment, les autorités, mal secondées par des renseignements transmis, ont minimisé la flambée dans les CHSLD. »

Exemple numéro deux : « En mars 2020, les autorités sanitaires québécoises ne disposaient d’aucune infrastructure d’information leur permettant d’effectuer une vigie sanitaire efficace, essentielle à la gestion d’une pandémie. »

Cette « infrastructure d’information » a toujours été digne du tiers-monde dans le système de santé québécois, ce qui pose la question déplaisante de savoir si on peut corriger des maux systémiques si on ne peut même pas les identifier…

Ensuite, la protectrice évoque comment l’approche de gestion « descendante » en Santé – tout se décide en haut, top down – qui s’est consolidée sous les libéraux en 2015 a semé la confusion dans les CHSLD : « Cela a généré une certaine paralysie dans les milieux de vie constamment bombardés d’orientations revues et modifiées. »

(Parenthèse : je soumets au lecteur curieux cette chronique de mars 2020 (3), qui illustre bien comment tout le réseau est conditionné à la gestion top down, quand des médecins montréalais se sont fait reprocher d’avoir protégé leur hôpital… avant d’avoir reçu les directives de Québec.)

Bref, au chapitre de l’information et des données, ce qui était vrai hors pandémie le fut encore plus en pandémie : le mammouth de la Santé ne savait pas que son arrière-train était en fait un bumper de Lada attaché avec de la broche. Il n’avait pas les données pour découvrir ce fait de base, disponible uniquement par fax.

On lit ce rapport de Mme Rinfret et on a envie de se déboucher une ou deux bouteilles de scotch : le mammouth de la Santé souffre d’un manque d’agilité spectaculaire. Le scotch, c’est pour mieux accepter que ce n’est pas demain la veille que ça va changer…

On lit ce rapport et on voit mal comment les péquistes, les solidaires et les libéraux auraient fait mieux que les caquistes, s’ils avaient été aux commandes de l’État, début 2020. Je cite la protectrice : « Dans la mesure où la nature imprévisible du virus a compliqué toute prise de décision, les attentes des citoyens et des citoyennes face à la gestion de la première vague doivent être réalistes, considérant entre autres des ressources et des moyens limités. »

Non, le péché en est un de dissimulation, ces jours-ci. J’ai évoqué les déclarations des sous-ministres Gendron et Rosebush, toutes contredites par les faits.

Eh bien, en plus, la protectrice Rinfret a confirmé hier que contrairement à ce que l’ex-ministre McCann, l’ex-sous-ministre Yvan Gendron et l’actuel directeur national de santé publique Horacio Arruda ont affirmé à la coroner Kamel, non, le ministère de la Santé n’a pas averti le réseau des CHSLD de se préparer à affronter le virus qui sévissait dès janvier 2020.

Cette directive est plutôt venue le 9 mars.

C’est donc une fausseté d’affirmer le contraire, une couleuvre qu’on a tenté de faire avaler à la coroner (4).

Encore là, si l’un ou l’autre de Mme McCann, de M. Gendron ou du DArruda parlait d’une directive en janvier, on pourrait plaider l’oubli d’une personne…

Mais quand ces trois témoins racontent la même fausseté à la coroner Kamel, ça sent la concertation pour donner un spin positif à quelque chose qui ne l’est pas, pour blâmer des subalternes dans les CISSS et dans les CIUSSS.

Le pire, dans cette fausseté chantée en chœur par Mme McCann, M. Gendron et le DArruda ?

Elle est inutile : tout le monde comprendrait ce que la protectrice a compris, c’est-à-dire que des décennies de dysfonction ont fait trébucher notre système de santé, début 2020, comme beaucoup d’autres systèmes en Occident ont trébuché.

Mais l’équipe du PM, obsédée par les comms et par son image, est rendue qu’elle pense devoir spinner même les choses qui ne peuvent pas lui être reprochées.

RECTIFICATIF - Dans une version précédente de ce texte, l'auteur a écrit que l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann avait dit à la coroner Kamel que les rapports d’inspection de certains CHSLD s’étaient faits de façon verbale. C’est une erreur factuelle: ce sont l’ex-sous-ministre Yvan Gendron et la sous-ministre Natalie Rosebush qui ont affirmé cela à la coroner Kamel. Nos excuses. Pour ce qui est de l’affirmation de Mme McCann faite chez la coroner selon laquelle les CISSS et les CIUSSS s’étaient fait dire par son ministère de se préparer au virus dès janvier 2020, les faits démontrent que cela est faux.

(1) Lisez le reportage de Radio-Canada (2) Lisez « Les PDG ont été alertés dès janvier 2020, selon Danielle McCann » (3) Lisez la chronique « Les petites cases au temps du coronavirus » (4) Lisez la chronique « Les couleuvres du mammouth de la Santé »