Cette chronique a été publiée avant le point de presse de 17 h du jeudi 30 décembre, où une série de resserrement aux mesures sanitaires, dont un couvre-feu de 22 h à 5 h, a été annoncée.

Le scoop de La Presse sur la possibilité d’un nouveau couvre-feu se lit avec tout l’effroi d’un coup de pelle dans la face⁠1. François Legault pourrait annoncer, à 17 h, un nouveau couvre-feu pan-provincial. Nombre de Québécois vont regarder ce point de presse avec un smoothie vodka-antidépresseurs.

Moi ? Je ne bois pas sur la job. Après, on verra.

J’ai appuyé le couvre-feu de janvier, février, mars, avril et mai 2021 parce que nous n’avions pas de vaccins. Pas de science sur l’efficacité d’un couvre-feu ? Évidemment qu’il n’y avait pas de science. Mais c’est mathématique : réduction des déplacements = réduction des contacts.

Selon les mots célèbres du DMichael Ryan, de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), au début de la pandémie : il ne faut pas attendre les solutions parfaites pour lutter contre un virus ⁠2.

J’ai appuyé le couvre-feu du début 2021 parce que l’heure était grave, parce que c’était une mesure parmi d’autres, une couche de fromage suisse dans la proverbiale barrière-par-multiples-tranches-de-fromage-suisse ⁠3. Et une étude ontarienne donne à penser que le couvre-feu a, pour un temps, aidé le bilan québécois ⁠4 en début d’année 2021.

Mais le couvre-feu est une mesure liberticide. Il a passé le test des tribunaux, oui, bien sûr. La question n’est pas légale. C’est plutôt une question de légitimité morale.

Est-ce que les Québécois vont accepter, pour une deuxième fois, de vivre sous un couvre-feu ?

Je n’ai pas la réponse à cette question. J’ai des doutes. Je suis dans le domaine du ressenti, quand je dis ça. Mais la fatigue pandémique est bien réelle. J’ai déjà écrit sur les Québécois de bonne foi qui, depuis que la situation s’est dégradée avant les Fêtes, sont tentés de baisser les bras. C’est humain, c’est normal. Je me demande ce qu’un couvre-feu 2,0 va faire comme dommages dans les rangs des Quebs de bonne foi.

Je suis donc sorti de la lecture de ce scoop de La Presse avec un léger mal de tête, celui de cette mauvaise nouvelle qui risque de nous tomber dessus, à 17 h, jeudi.

Et une autre sensation m’animait après la lecture, plus diffuse, qui relevait du léger effroi qu’on peut ressentir quand l’avion traverse une période d’intenses turbulences. Je cite un extrait du papier : « Mais les échos obtenus de la Santé publique font comprendre rapidement que les décisions se prennent désormais en s’appuyant sur l’intuition plutôt que sur une base scientifique formelle. »

Je me suis alors posé la question suivante : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Je me suis fait lancer des tomates en mai 2020 quand j’ai soulevé des questions — des doutes — sur les qualités de scientifique du DHoracio Arruda ⁠5. La pandémie commençait alors. Le gouvernement avait, le vendredi 23 avril, annoncé la recherche de l’immunité collective par contamination communautaire comme clé du déconfinement. Le DArruda, gardien de la science dans le bunker gouvernemental, avait alors été critiqué par un large pan de la communauté scientifique. Le lundi 27, cette idée mal fondée était abandonnée.

Ce fut pour moi le premier signal d’alarme au sujet de la qualité des conseils scientifiques prodigués au premier ministre du Québec : coudonc, est-il à jour, scientifiquement, Horacio ?

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le DHoracio Arruda

Depuis, le chef de la Santé publique québécoise a lancé publiquement toutes sortes de faits erronés sur les masques (printemps 2020) qui donneraient un faux sentiment de sécurité ; sur les tests rapides, sur les effectifs de vaccinateurs (décembre 2021) qui étaient selon lui suffisants pour la 3dose (c’était faux), sur les risques de contamination à l’extérieur (printemps 2021) et, encore, sur les masques N95 (décembre 2021) qui seraient moins efficaces que des masques chirurgicaux, s’ils sont mal ajustés (c’est faux)…

Et je n’embarquerai pas dans l’aération et la transmission par aérosols.

La liste des erreurs que je viens de donner est non-exhaustive. Le journaliste d’enquête André Noël, sur son compte Twitter, a fait un recensement exhaustif ⁠6.

Là, en ce jeudi matin, je lis le papier de La Presse sur les tractations qui ont cours dans les officines du gouvernement Legault. Je décrypte entre les lignes que la Santé publique navigue à vue, à l’intuition. Le chef de la Santé publique ? C’est Horacio Arruda.

Horacio Arruda qui ne s’inquiétait pas, début décembre, de ces rassemblements à 20 personnes, prévus pour les Fêtes, alors même que le variant Omicron inquiétait partout dans le monde ; alors même que la Santé publique fédérale disait que ces rassemblements à 20, ce n’était pas une bonne idée…

Il ne s’inquiétait pas non plus de la lenteur à administrer la 3dose, décriée par nombre d’experts québécois qui ont tous ceci de commun : ils ne sont pas salariés du ministère de la Santé ou de l’INSPQ. Bizarrement, de ce côté-là, personne ne contredit le gouvernement.

Comme le PM Legault, fin novembre-début décembre, le DSP Horacio était dans le jovialisme. Ça va bien aller !

Bref, si Horacio Arruda était ministre de la Santé, je le trouverais chancelant sur la science, mais je me dirais : il est du côté politique, pas du côté scientifique, il a cette excuse…

Le problème, c’est que le sous-ministre Arruda, est la voix de la science, auprès du politique. Lui qui porte aussi le chapeau de Directeur national de la Santé publique a tellement donné des avis mal fondés sur la science depuis 22 mois que je me demande si, ce coup-ci, sur le couvre-feu, il a tort ou s’il a raison. Lui-même semble l’ignorer.

Horacio Arruda a dit tellement de choses non fondées en public que je me demande ce qu’il peut bien dire, en privé. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est… pire.

J’ai déjà dit que l’incertitude pandémique est une sorte de nouveauté collective, qui joue sur nos nerfs à tous. Avance, recule. Le beau temps, puis l’orage. On se pense sorti de l’auberge, puis, bang, faut s’enfermer dans l’auberge.

Je suis prêt, comme Québécois, à vivre avec ça. Pas facile, mais la nature du coronavirus SARS-CoV-2 l’impose.

Sauf que je ne suis plus prêt, comme Québécois, à vivre avec l’idée qu’un scientifique aussi chancelant conseille le premier ministre à l’aube d’une troisième année de pandémie.

J’ai l’air, ici, de disculper François Legault en mettant le singe de l’opprobre sur le dos de Horacio Arruda. Ce n’est pas le cas. François Legault est le chef du gouvernement. C’est lui, le boss. Il a tous les pouvoirs, pour faire face à la menace virale. C’est lui qui choisit qui le conseille.

Si François Legault ne réalise pas que Horacio Arruda sème la consternation dans les rangs des scientifiques québécois, c’est inquiétant. S’il n’a pas noté les boulettes ésotériques à répétition du DSP, c’est épeurant…

Mais peut-être que le PM sait tout cela mais qu’il aime juste avoir une décoration en guise de caution scientifique.

Alors quand je me demande s’il y a un pilote dans l’avion, je ne parle pas de Horacio Arruda.

Je parle de François Legault.