Dans cette crise, le DHoracio Arruda est la voix de la science. Quand le premier ministre du Québec, François Legault, a réussi le tour de force de convaincre les Québécois de mettre leur vie sur pause, c’est le scientifique Arruda qui lui a servi de caution.

Et il n’y a aucun doute dans mon esprit : la pédagogie du PM dans ces heures frénétiques de mars a sauvé des vies, car il a convaincu les Québécois de s’encabaner, un geste totalement contre nature.

Alec Castonguay dans L’actualité a raconté le rôle du directeur national de santé publique pour convaincre M. Legault de la gravité de la situation.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, était de passage à Montréal vendredi. 

L’action concertée de ces deux hommes a sauvé des vies. C’est indéniable.

L’un est politicien.

L’autre est scientifique.

Cette dualité d’expertise a été très efficace.

Mais j’ai peur que cette efficacité ne s’amenuise, par un mélange des rôles avec lequel le Dr Arruda flirte.

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Mercredi, on a appris que la conseillère scientifique en chef du premier ministre Trudeau avait de grands doutes sur la stratégie québécoise de déconfinement.

Ces doutes, d’autres experts les partagent au Canada. Au Québec, même chose, des experts comme Benoît Mâsse doutent de la stratégie du gouvernement. Le DArruda ridiculise ces doutes en parlant de « gérants d’estrade ».

J’ai fait écho à ces doutes cette semaine dans une chronique : le Québec est la province la plus touchée par l’épidémie de coronavirus et c’est aussi la province la plus pressée de se déconfiner. Et la stratégie du gouvernement repose sur une foi aveugle dans une bureaucratie qui ne s’est pas distinguée par sa souplesse depuis deux mois.

L’approche québécoise a donc de quoi faire lever un sourcil. Ou les deux.

Jeudi, le DArruda s’est donc fait demander lors du point de presse de 13 h de répondre aux propos de la Dre Mona Nemer…

Voici sa réponse : « Écoutez, je ne répondrai pas à madame, étant donné que je n’ai pas à rendre de comptes à cette dame, mais à la population du Québec, ça, oui, puis à mes autorités, là… »

Un mot sur « madame » : ancienne vice-rectrice à la recherche de l’Université d’Ottawa, la Dre Mona Nemer est une scientifique de haut niveau. Elle compte 261 publications scientifiques sur plusieurs décennies, publications citées plus de 15 000 fois par d’autres chercheurs, ce qui la place à un niveau de rayonnement ahurissant. Son « Index H » de publication est de 64, un exploit.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE 

Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du premier ministre du Canada

À cette scientifique d’exception qui a émis des préoccupations scientifiques largement partagées sur la stratégie de déconfinement made in Québec, Horacio Arruda, homme de science, a choisi de servir… une rebuffade politique.

Sa réponse était peut-être du bonbon pour ceux qui raffolent des chicanes de compétences Québec-Ottawa, mais scientifiquement, au-delà de la voltige rhétorique, la réponse du DArruda n’avait aucun poids.

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Si les Québécois ont écouté leur premier ministre, s’ils ont accepté de s’encabaner, de cesser de travailler, s’ils ont accepté de mettre leur vie sur pause, c’est uniquement parce qu’ils ont fait confiance à leur premier ministre, parce que ce premier ministre s’appuyait sur la science, science incarnée par Horacio Arruda.

Mais la confiance est une chose fragile.

Bien sûr que la science du coronavirus est changeante. On le sait. Le DArruda en a fait un mantra, répété hier encore en conférence de presse à Montréal. Ce qui était vrai vendredi ne l’est pas forcément aujourd’hui, a-t-il répété. On comprend tous ça…

Mais ça n’explique pas tout.

Ça n’explique pas que l’immunité collective ait été présentée par le PM comme une clé de la stratégie de déconfinement le jeudi 23 avril… Pour être complètement larguée comme argument de déconfinement, le 27.

Ça n’explique pas que l’Institut national de santé publique du Québec ait torpillé l’idée de l’immunité collective comme idée maîtresse du déconfinement des enfants, signe que « la science » n’est pas toujours aussi floue que le prétend le DHoracio Arruda.

Ça n’explique pas que, lundi dernier, Geneviève Guilbault ait prié les employés des écoles et des garderies âgés de 60 à 69 ans de rester chez eux pour le déconfinement à venir… Pour qu’ils se fassent ensuite dire, le mercredi suivant, que non, non, on vous attend au travail, finalement !

Horacio Arruda justifie toutes les volte-face et tous les changements de cap en blâmant la science changeante du coronavirus. Je trouve que cette « science changeante » a le dos large et qu’elle explique commodément des faux pas du trio santé qui n’ont rien à voir avec cette science changeante.

La « science changeante » peut s’invoquer au cas par cas, mais ce n’est pas une cape d’invisibilité, comme semble le croire le Dr Arruda.

Je m’inquiète de voir Horacio Arruda prêter sa crédibilité de scientifique à la justification d’erreurs de communication, de planification et de logistique, erreurs qui n’ont rien à voir avec la science.

Ceci expliquant peut-être cela, on a appris cette semaine que le DArruda avait embauché la stratège politique France Amyot pour l’aider dans ses communications.

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Je m’inquiète de voir Horacio Arruda dire des choses qui ne sont pas du domaine de la science.

Traiter ses contradicteurs de « gérants d’estrade » alors que, parmi eux, on trouve des chercheurs très crédibles, c’est spectaculaire et ça fait les manchettes. Et ça nourrit le « personnage Arruda », soit. Mais ça ne vaut rien, scientifiquement.

Rabrouer théâtralement une collègue scientifique comme la Dre Nemer, qui pose des questions légitimes et répandues sur la stratégie québécoise de déconfinement, ça épate la galerie, mais ce n’est pas agir en scientifique.

C’est faire de la politique.

Il y a là un mélange des genres dangereux, parce que le déconfinement n’est pas gagné. Et si nous devons nous encabaner de nouveau, il faudra encore que nous soyons certains que la science ne fait pas de la politique.