(Ottawa) Erin O’Toole brillait par son absence mardi durant la période des questions à la Chambre des communes. Il a jugé préférable de consacrer les précieuses heures qu’il avait encore à sa disposition en tant que chef du Parti conservateur pour sauver les meubles. Car tout indique que ses propres troupes vont lui montrer la porte de sortie mercredi durant la réunion hebdomadaire du caucus.

À moins d’un revirement de taille, Erin O’Toole a posé sa toute dernière question en tant que chef de l’opposition officielle au premier ministre Justin Trudeau lundi aux Communes.

Plusieurs sources conservatrices interrogées mardi sont catégoriques. Elles ne voient pas comment le chef conservateur, élu en août 2020, en pleine pandémie, réussira à éviter l’humiliation d’être le tout premier leader d’un parti politique destitué par ses propres députés en vertu d’une loi parrainée par le député conservateur Michael Chong, qui a été adoptée par le Parlement en juin 2015.

Il faut qu’au moins 60 des 119 députés actuels votent en faveur d’une course à la direction pour provoquer son départ immédiat.

« Il est cuit », a répondu du tac au tac un député conservateur qui a requis l’anonymat afin de pouvoir parler librement des tensions qui secouent le parti depuis quelques mois, et qui se sont accentuées depuis la défaite électorale du 20 septembre dernier.

« Erin O’Toole est le capitaine d’un navire qui est en train de couler », a imagé un autre député sur le ton de la déception, qui s’est aussi exprimé anonymement pour les mêmes raisons que son collègue.

La marmite bouillait depuis plusieurs mois. À la dernière réunion du caucus, la semaine dernière, les échanges ont été corsés. Par moments, ils ont carrément tourné à l’engueulade.

Je n’ai jamais vu de telles tensions durant une réunion du caucus.

Une source conservatrice qui s’est confiée à La Presse

Cette réunion visait à préparer la rentrée parlementaire. Elle a aussi permis aux députés de prendre connaissance du rapport faisant l’autopsie de la défaite aux dernières élections. Les nombreux griefs de la campagne sont inévitablement remontés à la surface.

Dans l’Ouest, des députés reprochent encore à Erin O’Toole ses volte-face sur le contrôle des armes à feu et la taxe sur le carbone. Ils digèrent mal le recentrage du parti qui devait leur permettre de faire des gains dans les banlieues de Toronto et au Québec au dernier scrutin et qui s’est soldé par une défaite. Son refus de contester farouchement la loi 21 sur la laïcité de l’État du gouvernement Legault et, plus récemment, le projet de loi 96 visant à renforcer la langue française au Québec a indisposé d’autres purs et durs.

Ses tergiversations sur l’accueil qu’il comptait réserver au « Convoi de la liberté » de camionneurs en fin de semaine à Ottawa ont canalisé davantage la colère.

Jeter de l’huile sur le feu

Finalement, sa déclaration publiée sur les réseaux sociaux, à la suite de reportages laissant entendre qu’il faisait face à une véritable mutinerie de ses troupes, a jeté de l’huile sur le feu. Ceux qui l’appuyaient jusque-là ont compris qu’il ne pourrait jamais rétablir l’unité du parti. Certains ont alors décidé de le larguer.

« Deux voies s’offrent au Parti conservateur du Canada. L’une est celle de Randy Hillier et de Derek Sloan. Elle est mécontente, négative et extrême. C’est un cul-de-sac qui transformerait le parti de la Confédération en NPD de la droite », a écrit M. O’Toole lundi soir.

« L’autre vise à mieux refléter le Canada de 2022. À reconnaître que le conservatisme est en évolution, et non pas statique, et qu’un message gagnant est un message d’inclusion, d’optimisme et d’espoir », a-t-il ajouté.

« Il n’est vraiment plus en mesure de rassembler les troupes. Le parti est scindé en deux factions », a laissé tomber un député en commentant la réplique de lundi soir d’Erin O’Toole aux mutins.

Si ceux-ci obtiennent la tête de leur chef, comme bon nombre s’y attendent au sein du caucus, les membres du Parti conservateur devront élire un troisième chef en sept ans depuis le départ de Stephen Harper. Des courses à la direction à répétition laissent des traces et des fissures. L’unité du parti sera de nouveau mise à mal.

Sur la ligne de départ, le député Pierre Poilievre fait déjà figure de favori. Depuis quelques semaines, le bouillant député de Carleton, dans la région de la capitale fédérale, donne l’impression d’être déjà en campagne en multipliant les sorties provocantes sur les réseaux sociaux qui plaisent à une bonne partie de la base militante du parti. M. Poilievre avait songé à se présenter la dernière fois, effectuant même une tournée au Québec. Mais il avait soudainement abandonné l’idée de se lancer dans la course contre Peter MacKay et Erin O’Toole, entre autres, en invoquant des raisons familiales.

« S’il y a une course et qu’il est candidat, l’affaire est réglée », a affirmé une source conservatrice.

Les conservateurs qui se réclament de l’aile progressiste du parti exerceront de vives pressions sur le député Gérard Deltell pour qu’il soit aussi sur les rangs. Ce dernier avait songé également à briguer la direction du parti la dernière fois avant d’y renoncer après que l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest eut laissé entendre pendant quelques semaines qu’il envisageait d’être candidat.

Des conservateurs du Québec tenteront aussi de convaincre la fille de l’ancien premier ministre Brian Mulroney, Caroline Mulroney, qui est actuellement ministre des Transports du gouvernement Ford, de faire le saut dans l’arène fédérale. Mais il serait surprenant qu’elle accepte l’invitation. Des élections provinciales ont lieu en juin en Ontario.

Le poids du Québec moindre

Dans une potentielle course au leadership, l’influence du Québec sera moins déterminante. Dans le passé, chaque circonscription électorale se voyait accorder le même poids, soit 100 points, peu importe le nombre de membres que comptait une association de circonscription. Un candidat devait consacrer autant d’efforts à convaincre une poignée de membres de Laurier–Sainte-Marie, au Québec, que les milliers de membres de Calgary-Centre, en Alberta. Cette formule faisait partie du compromis qui a jeté les bases de la fusion entre le Parti progressiste-conservateur et l’Alliance canadienne en 2003.

Mais au dernier congrès national du parti, au printemps 2021, les membres ont modifié les règles visant à élire le chef. À titre d’exemple, une circonscription qui ne compte que 50 membres se verra accorder 50 points seulement, et non plus 100 points comme les circonscriptions qui comptent 100 membres et plus.

À plusieurs égards, le sort qui sera réservé à Erin O’Toole mercredi dictera inévitablement la place que l’on veut accorder aux tenants de l’aile progressiste au sein du Parti conservateur.