(Ottawa) Erin O’Toole aura un avant-goût de ce qui l’attend comme chef du Parti conservateur ce mardi quand il rencontrera ses députés en personne à Ottawa pour la première fois depuis la défaite électorale du 20 septembre.

L’enjeu de cette rencontre n’est pas insignifiant : le virage centriste que le chef conservateur a imposé à son parti sera-t-il permanent ou sera-t-il un accident de parcours qui aura duré le temps d’une campagne électorale ?

Ce virage pourrait donner lieu à un affrontement entre l’aile réformiste du parti, qui est issue des provinces de l’Ouest, et l’aile progressiste, qui est prédominante au Québec et dans les provinces atlantiques.

Il est toutefois peu probable que les députés optent dès mardi pour demander un vote de confiance, comme le leur permet une loi adoptée par le Parlement en 2015, à l’instigation du député conservateur Michael Chong. Mais Erin O’Toole devrait avoir une bonne idée, au terme de la journée de mardi, si certains élus comptent lui faire la vie dure d’ici à ce que les membres du parti se prononcent formellement sur son leadership au prochain congrès national, à Québec en 2023, comme le prévoit la Constitution du parti après une défaite électorale.

Au lendemain du scrutin, un membre de l’exécutif national, Bert Chen, a lancé une pétition pour réclamer un référendum sur le leadership du chef avant le congrès de 2023. Mais ses démarches n’ont pas eu un effet d’entraînement jusqu’ici.

Sous le couvert de l’anonymat, des députés conservateurs de l’Ouest ont déclaré à Radio-Canada qu’Erin O’Toole pourra difficilement demeurer à la tête du parti.

« Le chef a beau prétendre que bien des choses ont été accomplies [au scrutin du 20 septembre]. Honnêtement, je pense qu’il est sourd aux critiques. On n’a rien gagné dans cette élection », a déclaré le député à Radio-Canada, prédisant des discussions « très tendues » à la rencontre de mardi.

Au dernier scrutin, le Parti conservateur a obtenu 34 % des suffrages et fait élire 119 députés. Ces résultats sont presque identiques à ceux obtenus par l’ancien chef Andrew Scheer aux élections d’octobre 2019. Ce dernier avait annoncé sa démission deux mois plus tard, incapable de calmer la grogne qui prenait de l’ampleur à cause de ses louvoiements sur la question de l’avortement durant la campagne. Il a quitté la direction du parti avant de se faire montrer la porte par les membres lors d’un vote de confiance prévu en avril 2020.

Un recentrage « nécessaire »

Au Québec, les 10 députés conservateurs réélus ont déjà fait savoir à quelle enseigne ils logent. Ils veulent maintenir le cap sur le recentrage des politiques du parti en matière de lutte contre les changements climatiques et sur les questions sociales, entre autres choses. D’autant plus que ce recentrage a reçu la bénédiction de l’ancien premier ministre Brian Mulroney durant la campagne. Sans hésiter, ils souhaitent que l’on accorde une deuxième chance à leur capitaine.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Rayes, député conservateur de Richmond-Arthabaska, en 2018

Ce recentrage, à mes yeux, il est nécessaire. On doit l’assumer et on doit trouver une façon de vendre nos positions conservatrices pour se rapprocher de certaines communautés et des milieux urbains. On ne peut pas juste courtiser les régions qui votent déjà pour notre parti.

Alain Rayes, député conservateur de Richmond-Arthabaska

Durant la rencontre du caucus, les élus conservateurs du Québec ne se gêneront d’ailleurs pas pour présenter quelques chiffres à leurs collègues des autres provinces. Certes, le Parti conservateur n’a pas remporté un siège de plus dans la Belle Province, malgré la main tendue d’Erin O’Toole et le contrat qu’il a proposé aux Québécois durant la campagne. Mais sous sa houlette, les conservateurs ont obtenu près de 80 000 votes de plus au Québec qu’en 2019, soit 755 548 voix en tout.

Et « 755 548 votes au Québec, c’est plus de votes que ce que nous avons obtenu dans les provinces de la Saskatchewan, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve réunies », a fait valoir lundi le député conservateur Gérard Deltell, leader parlementaire d’Erin O’Toole.

« C’est aussi plus de votes conservateurs qu’en Colombie-Britannique », a-t-il pris soin d’ajouter, en relevant les 741 043 votes conservateurs comptés dans les boîtes de scrutin dans cette province le 20 septembre.

En outre, 7 des 10 députés conservateurs ont remporté la victoire avec 50 % ou plus des suffrages dans leur circonscription.

En somme, le virage centriste d’Erin O’Toole, s’il n’a pas permis de remporter de nouveaux sièges au Québec, a quand même rapporté des dividendes durant sa première tentative comme chef du parti. En Alberta, un bastion pour le Parti conservateur, trois sièges ont été perdus (deux sièges au profit du Parti libéral et un autre au profit du Nouveau Parti démocratique), mais c’est en grande partie à cause de la mauvaise gestion de la pandémie du gouvernement de Jason Kenney.

« Comme le chef l’a dit, c’est sûr qu’au lendemain d’une élection où nous n’avons pas gagné, nous sommes déçus des résultats et c’est normal. Cela dit, c’est à nous d’agir après deux semaines de façon réaliste et responsable. Oui, nous avons eu plus de votes. Oui, nous avons augmenté fortement au Québec et nous en sommes très fiers. Mais nous allons analyser ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné. Ce sera un exercice très utile », a commenté M. Deltell.