(Ottawa) Justin Trudeau n’a pas obtenu la majorité des sièges qu’il convoitait à la Chambre des communes au scrutin de lundi. Mais les cartes que les électeurs lui ont remises faciliteront la toute première tâche à laquelle il devra s’attaquer : la formation de son cabinet.

Seulement trois ministres ont mordu la poussière au terme de cette campagne âprement disputée. Tous les ministres influents, sans exception, ont été réélus. Mieux encore, le Parti libéral a réussi à faire élire un député dans Calgary-Skyview, George Chahal, et un candidat libéral, Randy Boissonnault, s’accrochait à une mince avance dans Edmonton-Centre. L’Alberta, qui n’avait élu aucun député libéral en 2019, aura donc de nouveau une voix à la table du cabinet.

M. Trudeau veut attendre les résultats définitifs dans une quinzaine de circonscriptions qui sont toujours en jeu avant de se pencher sur le casse-tête que constitue la formation d’un cabinet. Un remaniement ministériel devrait être annoncé au plus tard d’ici un mois. « Il est épuisé. Tout son entourage est épuisé. Il faut laisser la poussière retomber après cette campagne électorale », a indiqué une source libérale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ce dossier.

Les trois ministres qui ont encaissé la défaite lundi sont toutes des femmes. Il s’agit de la ministre des Pêches et Océans, Bernadette Jordan, dans la circonscription de South Shore–St. Margarets, en Nouvelle-Écosse, de la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres et du Développement économique rural, Maryam Monsef, dans la circonscription de Peterborough–Kawartha, en Ontario, et de la ministre des Aînés, Deb Schulte, dans la circonscription de King-Vaughan, également en Ontario.

Depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, Justin Trudeau a instauré la pratique de nommer un cabinet paritaire. Se décrivant toujours comme un féministe, M. Trudeau devra donc nommer trois autres femmes à son cabinet pour maintenir cette nouvelle tradition, s’il choisit de conserver le même nombre de ministres qui l’épaulent dans la gestion des affaires de l’État.

Il devra en outre nommer un élu ou une élue de la Nouvelle-Écosse pour donner une voix à cette province au cabinet. La nouvelle députée d’Halifax-Ouest, Lena Diab, qui a été ministre dans l’ancien gouvernement libéral de la province, pourrait s’avérer un choix intéressant.

Du reste, rien n’indique que M. Trudeau soit tenté d’entreprendre un vaste jeu de chaise musicale dans la formation de son prochain cabinet. Ainsi, il est peu probable que les ministres influents tels que Chrystia Freeland aux Finances, Jean-Yves Duclos au Conseil du Trésor, Jonathan Wilkinson à l’Environnement, Dominic LeBlanc aux Affaires intergouvernementales, Marc Garneau aux Affaires étrangères, Steven Guilbeault au Patrimoine, Bill Blair à la Sécurité publique et Marco Mendicino à l’Immigration, entre autres, se voient confier de nouvelles fonctions.

D’autant plus que ces ministres ont déjà des dossiers costauds sur leur bureau respectif. Aux Finances, Chrystia Freeland, qui est aussi vice-première ministre, doit veiller à la mise en œuvre d’importantes mesures de relance contenues dans le budget déposé en avril. La quatrième vague de la COVID-19 qui déferle au pays pourrait aussi forcer le gouvernement fédéral à prolonger de nouveau les mesures de soutien aux travailleurs et aux entreprises cet automne.

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Chrystia Freeland, ministre des Finances et vice-première ministre

À la barre de la Sécurité publique, Bill Blair, ancien chef de la police de Toronto, doit mener à bien la promesse des libéraux de resserrer le contrôle des armes à feu, notamment les armes de poing qui sont utilisées lors de fusillades entre gangs de rue à Montréal et dans d’autres grandes villes du pays.

Le ministre de l’Immigration, Marco Mendicino, doit pour sa part intensifier les efforts du Canada visant à rapatrier des réfugiés afghans. Durant la campagne électorale, Justin Trudeau s’est engagé à ramener au Canada 40 000 de ces réfugiés. À peine 4000 d’entre eux ont foulé le sol canadien jusqu’ici.

Aux Affaires intergouvernementales, le ministre Dominic LeBlanc devrait épauler le premier ministre dans les pourparlers qui s’annoncent déjà corsés avec les provinces au sujet de l’augmentation des transferts en santé.

Le contingent des ministres du Québec, qui a su tirer son épingle du jeu durant les deux dernières années en multipliant les efforts pour conclure des ententes avec le gouvernement Legault, devrait être le même. Le lieutenant politique de M. Trudeau au Québec, Pablo Rodriguez, devrait garder son poste de leader du gouvernement à la Chambre, d’autant qu’il a su établir de bonnes relations de travail avec la plupart de ses collègues des autres formations politiques.

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Mélanie Joly et Pablo Rodriguez, lors de la soirée libérale

Cela dit, la ministre du Développement économique, du Tourisme et des Langues officielles, Mélanie Joly, qui a été coprésidente de la campagne victorieuse des libéraux, pourrait obtenir une promotion. Mme Joly a joué un rôle crucial dans le recrutement, le financement et l’organisation du parti dans l’ensemble du Québec. Dans les rangs libéraux, on estime qu’elle a réussi à contrer la vague bloquiste qui se profilait à l’horizon à la suite du débat en anglais en mobilisant les troupes libérales dans une dizaine de circonscriptions.

Justin Trudeau aura aussi une décision importante à prendre au sujet du rôle qu’il veut confier au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui pourrait être sur les rangs dans une éventuelle course à la direction en compagnie de Chrystia Freeland. En quelques mois seulement, M. Champagne a fait sa marque à ce ministère, notamment en persuadant les dirigeants de Moderna d’ouvrir une usine de fabrication de son vaccin contre la COVID-19 au Canada ainsi qu’un centre de recherche et d’excellence.