(Ottawa ) L’ancien premier ministre Brian Mulroney suit la présente campagne électorale avec intérêt. Quand il a vu des manifestants antivaccins s’en prendre violemment au chef libéral Justin Trudeau, la fin de semaine dernière, à Bolton et à Cambridge, en Ontario, cela lui a rappelé quelques souvenirs de la campagne de 1988.

L’enjeu dominant de ces élections portait sur le traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis que son gouvernement progressiste-conservateur avait conclu quelques mois auparavant, au terme de plusieurs mois de négociations, avec l’administration du président Ronald Reagan.

M. Mulroney n’a pu s’empêcher de sourire quand certains observateurs ont affirmé que les évènements disgracieux qui ont entraîné l’annulation d’une annonce de Justin Trudeau à Bolton vendredi soir étaient d’une rare violence.

« Ce qui s’est passé en fin de semaine est fort désagréable. Mais c’était une bagatelle comparativement à ce qui s’est passé durant les élections de 1988. Des historiens ont déjà décrit cette campagne comme étant la plus brutale de l’histoire du pays », a-t-il affirmé à La Presse.

En 1988, les débats étaient passionnés, les émotions à fleur de peau. Les accusations de trahison pleuvaient au quotidien. Des opposants à cet accord commercial accusaient M. Mulroney de vouloir vendre le pays aux Américains. La souveraineté canadienne passerait à la moulinette à Washington, affirmaient aussi à l’unisson les libéraux de John Turner et les néo-démocrates d’Ed Broadbent tout au long de cette longue campagne.

À chacun des rassemblements de militants conservateurs, Brian Mulroney trouvait sur sa route de nombreux manifestants hostiles, pancartes à la main, hurlant des insultes tonitruantes qui auraient pu intimider le commun des mortels.

Les manifestations violentes, c’était sans arrêt. Les invectives aussi. Sur les pancartes, on disait : “Mulroney you are a traitor” [Mulroney, vous êtes un traître], “You are a son of a bitch” [Vous êtes un salaud]. C’était comme cela à toutes les assemblées. Des chahuteurs m’empêchaient de parler.

Brian Mulroney, sur sa campagne en 1988

« À Victoria, j’ai même dû arrêter de parler et j’ai offert de rencontrer un manifestant après pour lui expliquer l’accord de libre-échange. Je l’ai fait. J’ai répondu à toutes ses questions devant les caméras et ce fut un tournant de la campagne », a raconté l’ancien premier ministre au bout du fil.

M. Mulroney se souvient aussi d’un incident disgracieux à Moncton au cours duquel la sécurité de sa femme, Mila Mulroney, a été fortement compromise. Un manifestant a utilisé sa pancarte pour la frapper à l’estomac.

« C’était épouvantable, ce que les manifestants ont fait. Les médias voulaient que les libéraux gagnent ces élections. Et après cet incident, ils se sont empressés de dire que ce n’était pas un incident grave, que le manifestant l’avait à peine touchée. Je m’en souviens très bien. Le manifestant a pris sa pancarte avec un morceau de bois et il lui a donné un coup dans le ventre. »

Durant un autre rassemblement à l’Île-du-Prince-Édouard, un individu l’attendait à la porte d’entrée d’une salle en tenant dans ses bras un poupon de 6 mois. « Il n’était pas loin de moi. La sécurité n’était pas très bonne à l’Île-du-Prince-Édouard. Il s’est mis à hurler : ‟Mulroney, you are a f… ing traitor”, ‟This God damn free trade agreement is a sellout to the United States” [Ce maudit accord de libre-échange est une capitulation devant les États-Unis]. Il n’arrêtait pas avec ses insultes et ses blasphèmes. Mila s’est arrêtée et lui a dit : ‟Tu mets ton enfant en danger en criant de la sorte. On ne crie pas comme cela avec un bébé dans les bras. Ramène ton enfant à la maison si tu veux crier après mon mari”. »

Le soir des élections du 21 novembre 1988, après une campagne mouvementée, Brian Mulroney remportait un deuxième mandat majoritaire – c’était la première fois en 30 ans qu’un premier ministre réussissait un tel exploit. C’était aussi la première fois qu’un leader conservateur décrochait deux majorités de suite depuis l’époque de John A. Macdonald. Le traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, bloqué au Sénat, pouvait enfin entrer en vigueur.

« Tout ce que l’on a perdu, 30 ans après la signature de l’entente, c’est une partie de notre pauvreté. On a gagné notre souveraineté économique. Des millions et des millions de Canadiens ont pu avoir un emploi grâce à cet accord. »

En suivant la présente campagne, M. Mulroney constate avec satisfaction le virage centriste qu’impose Erin O’Toole au Parti conservateur. L’ex-premier ministre se reconnaît dans la nouvelle mouture du parti.

« Je suis bien impressionné par son comportement et son programme électoral. Cela explique pourquoi il fait une bonne campagne et il obtient de bons résultats jusqu’ici. Il a recentré la formation politique et ça ressemble de plus en plus au Parti progressiste-conservateur. John Diefenbaker, un chef de l’Ouest, a gagné en dirigeant des progressistes-conservateurs. J’ai gagné aussi. Joe Clark a gagné. »

Mais il tient à souligner que rien n’est joué. « Les campagnes comptent ! Quand j’ai commencé la campagne électorale de 1984, je tirais de l’arrière par environ 14 points. Le jour des élections, j’ai gagné avec 18 points d’avance. »

Durant l’émission Cinq chefs, une élection sur les ondes de Radio-Canada, dimanche soir, M. O’Toole a d’ailleurs révélé qu’il sollicitait les conseils de M. Mulroney, notamment sur les relations canado-américaines.

Il appert qu’il s’adresse à la meilleure personne. Récemment, Brian Mulroney a été choisi par un jury de 50 personnes provenant du Canada et des États-Unis comme le premier ministre ayant le plus favorisé les relations entre les deux pays au cours du dernier siècle, selon la publication Policy Magazine, qui consacre la totalité de son dernier numéro aux relations canado-américaines.

M. Mulroney et le président Ronald Reagan ont été choisis par 62 % des membres du jury, loin devant l’ancien premier ministre libéral MacKenzie King et Franklin Roosevelt (16 %) au deuxième rang ou Jean Chrétien et Bill Clinton (4 %) au cinquième rang.