(Ottawa) En une semaine seulement, les libéraux de Justin Trudeau ont utilisé trois de leurs cartouches de prédilection pour attaquer le chef du Parti conservateur Erin O’Toole : la vaccination obligatoire imposée aux fonctionnaires fédéraux, l’avortement et la privatisation des soins de santé.

Mais aucune de ces cartouches n’a eu l’effet escompté. Pis encore, elles semblent s’être retournées contre eux. En temps normal, les stratèges libéraux égrènent ces munitions, qui ont toujours rapporté des dividendes lorsqu’elles sont habilement utilisées. À ces cartouches, ils ajoutent habituellement le contrôle des armes à feu et la lutte contre les changements climatiques pour désarçonner davantage l’adversaire conservateur – deux enjeux sur lesquels le Parti libéral et le Parti conservateur ont des politiques différentes.

« Ils essaient de donner une odeur de moufette à Erin O’Toole parce qu’il n’est pas connu. Ils veulent le définir avant qu’il ait l’occasion de le faire durant la campagne. Mais visiblement, ça ne marche pas », tranche Yan Plante, vice-président de la firme de relations publiques Tact et ex-chef de cabinet de l’ancien ministre des Transports Denis Lebel dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper.

« Ils sont où, les grandes idées du Parti libéral ? Elles ne sont pas là encore. Ils ne sont pas battus, loin de là. Mais il ne faudrait pas qu’ils nous offrent quatre autres semaines comme cela parce qu’ils vont être dans l’opposition », ajoute-t-il.

Selon Jeremy Ghio, stratège libéral à Ottawa durant les premières années de pouvoir du gouvernement Trudeau, il aurait été plus sage d’utiliser les cartouches qui ont été gaspillées durant la première semaine de campagne avant le déclenchement des élections. Cela aurait permis de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas avant le début du sprint électoral.

« Les libéraux ont perdu des journées de campagne pour rien », soutient, sans ambages M. Ghio, qui est directeur chez Tact.

Toutes les bonnes stratégies qui ont fonctionné dans le passé finissent par ne plus donner les mêmes bons résultats. Il faut donc que tu t’ajustes et que tu te modernises. Sinon, tu vas avoir l’air désuet ou tout simplement fatigué. Étant donné que c’est toi qui déclenches l’élection, il faut que tu sois plus prêt que tes adversaires

Jeremy Ghio, ancien stratège libéral et directeur à la firme de relations publiques Tact

Il estime que les conservateurs ont appris de leurs erreurs des dernières élections en réduisant le potentiel de certaines attaques, notamment sur les enjeux sociaux et même l’environnement.

« Avant, les conservateurs s’exposaient aux attaques parce qu’on pouvait leur dire qu’ils n’avaient pas de plan pour l’environnement, par exemple. Il n’y a plus personne qui peut dire cela aujourd’hui. On peut dire que leur plan est mauvais ou incomplet. Mais on ne peut pas leur dire qu’ils n’ont pas de plan. Ils en ont déposé un. Ça limite donc l’étendue des attaques qui peuvent être lancées contre eux. »

Résultat : la lutte se resserre dans les sondages, à un point tel que l’élection d’un gouvernement libéral majoritaire semble glisser entre les mains de Justin Trudeau au fur et à mesure que la campagne progresse.

Selon le site 338canada.com, qui fait une moyenne des sondages nationaux, le Parti libéral (33,5 %) détient une mince avance de deux points de pourcentage sur le Parti conservateur (31,3 %), tandis que le Nouveau Parti démocratique (NPD) est bon troisième avec 19,6 %. Le Parti vert arrive au quatrième rang avec 4,8 %. Au Québec, le Parti libéral recueille en moyenne 35,5 % des appuis, contre 28,3 % au Bloc québécois, 16,8 % au Parti conservateur, 12,4 % au NPD et 4,7 % au Parti vert.

De tels résultats conduiraient à l’élection d’un gouvernement minoritaire, vraisemblablement libéral. Un scénario qui pourrait marquer la fin de la carrière de Justin Trudeau, selon Yan Plante.

Le succès pour Justin Trudeau va uniquement se mesurer à une victoire majoritaire. Même minoritaire, sa position va être affaiblie autant comme chef libéral que comme chef du gouvernement. Les aspirants à son poste vont lui montrer la porte de sortie.

Yan Plante, vice-président chez Tact et ex-chef de cabinet de l’ancien ministre conservateur Denis Lebel

En privé, les stratèges libéraux refusent de céder à la panique. Mais ils admettent que la première semaine n’a pas été couronnée de succès. Ils conviennent aussi que Justin Trudeau, qui a choisi de déclencher des élections même si son gouvernement minoritaire n’était pas menacé de perde le pouvoir à la Chambre des communes, n’a pas encore réussi à imposer le thème de la campagne à quelques jours du premier débat des chefs, qui aura lieu sur les ondes de TVA le 2 septembre.

« Ce n’était pas notre meilleure semaine. Mais il reste que les gens ne suivent pas la campagne encore », a affirmé un stratège libéral qui a requis l’anonymat parce qu’il n’était pas autorisé à parler publiquement de la stratégie du parti.

Depuis le début de la campagne, Justin Trudeau a multiplié les attaques contre Erin O’Toole. C’est un rôle qui lui sied mal, selon MM. Plante et Ghio.

« Ça donne l’impression qu’il n’était pas prêt à faire campagne même s’il a provoqué des élections. Il doit s’ajuster. Il doit redevenir la personne qui a un message positif », affirme Yan Plante.

« Je m’ennuie du Justin Trudeau de 2015. Je m’ennuie du Justin Trudeau qui est émotif, qui est près des gens, qui est positif. Je m’ennuie de ce politicien qui nous faisait rêver. J’espère pour les libéraux qu’il va revenir avant la fin de la campagne », renchérit Jeremy Ghio.