(Ottawa) Une campagne électorale, c’est l’équivalent de la finale de la Coupe Stanley en politique. Mais pour le directeur parlementaire du budget et son équipe d’analystes, cela ressemble plutôt à une intense séance de correction d’examens qui ponctue la fin d’une session universitaire.

En vertu de la Loi sur le Parlement du Canada, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a le mandat d’évaluer le coût des diverses mesures proposées par les partis politiques dans le cadre d’une campagne électorale, s’ils en font la demande.

Lundi, le Parti conservateur lui a fait parvenir son programme électoral après que le chef conservateur Erin O’Toole l’eut rendu public. Une brique de 170 pages qui comprend de nombreuses promesses ayant une incidence financière importante.

Un exemple : les conservateurs promettent d’augmenter les transferts en santé aux provinces de l’ordre de 6 % par année. Un engagement qui coûtera plusieurs milliards de dollars. Durant l’exercice financier en cours, Ottawa prévoit verser 43,1 milliards aux provinces pour la santé. Le Parti conservateur propose aussi d’offrir aux Canadiens un congé de TPS en décembre afin de soutenir la croissance économique et les petites entreprises, s’il prend le pouvoir le 20 septembre.

Les stratèges du Parti conservateur ont fait des calculs. Mais ils attendent d’avoir le résultat de l’évaluation du Bureau du directeur parlementaire du budget avant de publier les coûts de leurs promesses.

Le directeur parlementaire du budget, ou le DPB comme on l’appelle souvent à Ottawa, s’attend à recevoir plusieurs demandes du même genre.

D’abord et avant tout, ce n’est pas un choix que j’ai. C’est une obligation qui m’a été imposée par la loi.

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget

Quand les partis politiques me demandent d’estimer les coûts des promesses électorales qu’ils comptent faire, je dois faire tout en mon possible pour estimer les coûts. Il y en a qui pensent que c’est juste parce que j’aime le trouble ou peu importe que je me suis lancé là-dedans ! Mais c’est uniquement parce que j’y suis obligé. C’est la loi qui m’y oblige depuis 2017 », explique M. Giroux dans une entrevue avec La Presse.

En temps normal, le directeur parlementaire du budget peut commencer à passer au peigne fin les promesses des partis 120 jours avant la date prévue du scrutin, quand les dispositions de la Loi électorale du Canada portant sur les élections à date fixe sont respectées. C’était le cas il y a deux ans. La date du 21 octobre 2019 était connue depuis longtemps. C’était la première fois que M. Giroux se livrait à un tel exercice en vertu de son nouveau mandat.

Mais cette fois-ci, parce que le premier ministre Justin Trudeau a décidé de déclencher des élections anticipées deux ans avant la fin de son mandat, M. Giroux et son équipe n’ont que cinq semaines environ pour donner suite aux requêtes des formations politiques. « Ça a commencé le jour où les élections ont été déclenchées », a-t-il souligné.

« Étant donné qu’on n’a pas le même temps, mais le même nombre d’employés, on va pouvoir estimer moins de demandes », poursuit M. Giroux.

La dernière fois, on avait procédé à l’estimation de plus de 200 demandes au total. Et environ 115 d’entre elles avaient été publiées par les partis politiques. Cette année, on ne pense pas pouvoir en faire autant parce qu’on a à peu près trois fois moins de temps.

Yves Giroux

Son bureau a fait savoir aux partis politiques, avant même le déclenchement des élections, qu’il ne pourrait pas analyser le même volume que la dernière fois, en 2019.

« Dans le cadre de cet exercice, ce que je fais est confidentiel tant et aussi longtemps que les partis, de leur propre chef, décident de procéder à l’annonce. Donc, je peux confirmer que j’ai eu des demandes de la part du Parti conservateur parce qu’il a lui-même annoncé. Mais si M. O’Toole ne l’avait pas dit, je ne pourrais pas mentionner que j’ai reçu des demandes de la part du Parti conservateur », a tenu à préciser M. Giroux.

S’il retient une leçon du travail d’examen imposant que son bureau a mené en 2019, c’est qu’il existe un fort appétit de la part des partis politiques pour un tel travail. Et la raison est fort simple. Dans le passé, les partis se livraient à des guerres de chiffres quant aux coûts réels des propositions des uns et des autres. Le gouvernement Trudeau a promis aux élections de 2015 d’élargir le mandat du DPB pour inclure l’évaluation des promesses électorales. Résultat : les partis politiques jugent maintenant essentiel d’avoir une évaluation indépendante de leurs propositions pour leur donner une crédibilité. Et avant de faire appel au DPB, ils font et refont leurs calculs avec plus de rigueur.

Car après une quinzaine d’années d’existence, le Bureau du directeur parlementaire du budget s’est bâti une solide réputation auprès de la classe politique à Ottawa et de la population en général en présentant des rapports exhaustifs sur, par exemple, les coûts de l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain, la facture liée à la mission militaire en Afghanistan ou encore le régime pancanadien de prix sur la pollution instauré par le gouvernement Trudeau.

« Ce qu’on a appris en 2019, c’est qu’il y avait un grand appétit pour des estimations de coûts qui étaient indépendantes en raison du volume de demandes. Aussi les partis politiques cherchent cette légitimité, cette indépendance. Il faut savoir que ce ne sont pas tous les partis qui ont les mêmes ressources, les mêmes forces et les mêmes faiblesses », a affirmé M. Giroux.

« Il y a des partis qui ont plus de capacité parce qu’ils ont déjà été au gouvernement ou parce qu’ils sont encore au gouvernement. Tandis que d’autres partis qui n’ont jamais formé le gouvernement, soit au fédéral ou au provincial, n’ont pas la même expertise et les mêmes capacités. Donc, les partis ne sont pas tous égaux, évidemment, dans leurs ressources et dans leurs capacités. C’est un service qui a été très apprécié de la part des partis politiques en 2019 », a-t-il ajouté.