(Québec) Un nombre de sièges qui ne reflète pas du tout le suffrage populaire. Un gouvernement réélu en faisant main basse sur la quasi-totalité des circonscriptions. C’est le portrait des élections de lundi dernier ? C’est aussi le constat au lendemain de la victoire de Robert Bourassa en octobre 1973.

Les libéraux avaient obtenu 102 des 110 circonscriptions que comptait alors le Québec. Le Parti québécois (PQ) de René Lévesque n’avait récolté que 6 sièges, un de moins qu’au scrutin précédent, en 1970. Camille Laurin avait essuyé la défaite dans Bourget. Pourtant, 30 % des électeurs avaient voté PQ, 6 points de pourcentage de plus qu’au scrutin précédent. Les créditistes d’Yvon Dupuis auront 2 élus, avec 10 % des suffrages. Unité-Québec, dirigée par Gabriel Loubier, aura 5 % des voix, mais ne fera élire personne. Pourtant, à l’époque, personne ne parle d’une nécessaire réforme du mode de scrutin.

« Notre soirée électorale avait été très dure », se souvient Martine Tremblay, alors permanente du Parti québécois. Le parti souverainiste avait été entraîné plus tôt que prévu en campagne électorale. La partie était « jouable » dans une course à trois, si les candidats d’Unité-Québec (le nouveau nom de l’Union nationale) faisaient bonne figure, et divisaient le vote fédéraliste. Or, le parti de Gabriel Loubier s’est effondré. « Dans une lutte à deux, le résultat était prévisible », observe Mme Tremblay.

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Rencontre entre Robert Bourassa et René Lévesque, en novembre 1976

René Lévesque s’était fait battre à nouveau dans sa circonscription de Dorion. « Cela avait été suivi d’une longue période de réflexion, son leadership avait été remis en cause », poursuit-elle. Un adversaire qui fait faux bond, Bernard Landry allait jouer dans ce même film en 2003. L’effondrement de l’ADQ de Mario Dumont avait condamné le PQ à un duel inégal contre Jean Charest.

L’ascendant de Lévesque sur les troupes s’était érodé après l’élection de 1973. Réélu dans Saint-Jacques, « Claude Charron avait fait une déclaration (il qualifiait de “vieux” le père fondateur du PQ). Moi aussi… À chaque élection, on se demandait s’il restait chef ou non. En 1976, je pense que M. Bourassa a voulu profiter du fait que le leadership de M. Lévesque était contesté », se souvient Lucien Lessard, qui avait été réélu dans Saguenay.

Opposition officielle  

Perdre un siège quand on en a si peu est cruellement ressenti. « On était déçus, on estimait avoir fait du bon travail depuis 1970. Mais au-delà du nombre de sièges, une chose importante est survenue en 1973 : le PQ est devenu l’opposition officielle ! », observe Louis Bernard, qui à ce moment était devenu chef de cabinet de Jacques-Yvan Morin, leader de l’aile parlementaire du PQ. « Dans notre régime, cela change tout. Fondamentalement, un Parlement fonctionne à un contre un, le gouvernement et l’opposition », de poursuivre M. Bernard. Trois ans plus tard, le PQ sera porté au pouvoir, les membres étaient mobilisés, « et avec nos 30 %, on sentait qu’on avait le vent dans le dos », ajoute-t-il.

Lucien Lessard trouvait, lui, une raison de se réjouir. « Seul représentant péquiste en région, j’étais un peu isolé. Or, Marc-André Bédard de Chicoutimi est arrivé à cette élection », rappelait-il cette semaine. En dépit de ses 102 députés, « la suite n’avait pas été rose pour Bourassa ». Entre 1973 et 1976, des doutes sont soulevés sur l’intégrité du gouvernement, on s’interroge sur la proximité avec la belle-famille du premier ministre, les Simard de Sorel. La loi 22 creuse un fossé avec la communauté anglophone.

À l’ère du Watergate, les médias étaient fort critiques à l’endroit des élus, ils jouaient un peu le rôle de l’opposition, se souvient Raymond Saint-Pierre, alors reporter à CKAC. « Et M. Bourassa en était bien conscient. »

Québec Presse, puis le quotidien Le Jour seront très durs à l’endroit du gouvernement libéral. Même le Maclean offrira une page couverture éditorialisante, présentant Robert Bourassa avec un hot-dog servi sur un plateau – Pierre Trudeau s’en servira publiquement pour le ridiculiser.

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Robert Bourassa entouré de journalistes le soir des élections de 1976

C’est d’ailleurs ce qui attend François Legault. « L’opposition, pour François Legault, viendra davantage des médias, avec les réseaux sociaux incontrôlables. Ce sera un mandat difficile pour la CAQ », prédit le vétéran libéral Pierre Bibeau.

Mais l’experte en sondage Claire Durand relève une donnée souvent oubliée. En 1976, les 18-34 ans comptent pour 47 % de la population, et ils sont très majoritairement souverainistes. Au-delà des slogans, des scandales et des réformes, la démographie a amené le PQ au pouvoir en 1976. Aujourd’hui, cette strate d’âge ne représente plus que 25 % de la population.

Élection prématurée 

Robert Bourassa avait tenté de prendre de court ses adversaires en déclenchant les élections après seulement trois ans au pouvoir en 1973. Pour son conseiller perpétuel, Jean-Claude Rivest, la décision s’appuyait sur d’autres considérations. Les sondages prédisaient tous une victoire libérale, « M. Bourassa était en terrain solide. »

« La mise en place de l’assurance-maladie avait été un succès. Cette réforme était très populaire, la promesse des 100 000 emplois était réalisée, aussi. La Baie-James était en route et créait beaucoup d’emplois en région », se souvient M. Rivest.

Aussi, observait M. Bourassa dans les entrevues-fleuves accordées à Raymond Saint-Pierre après 1976, « le problème linguistique devenait de plus en plus aigu ». Il était plus sage de lancer l’appel aux urnes avant qu’une question « qui soulève trop de passions » n’occupe toute la place, relate l’ex-premier ministre dans Les années Bourassa, la transcription des entretiens accordés au jeune reporter de CKAC. Dans ses confidences, Bourassa relevait que récolter autant de députés, 102 en 1973, comportait des risques, le mécontentement des députés déçus était inévitable. « Mes sympathies », lui avait dit Harold Wilson, premier ministre britannique, après sa victoire avec 102 députés.

La ligne dure 

Cette semaine, Raymond Saint-Pierre se souvenait aussi de l’importance qu’apportait M. Bourassa à tenir la ligne dure à l’endroit des centrales syndicales. Déjà, la population jugeait trop mou un premier ministre qui n’avait pas tenu tête aux libéraux fédéraux et à Pierre Trudeau. « Ma tactique avait été de commencer la campagne en soulignant les gestes assez fermes que j’avais posés à l’endroit des chefs syndicaux », confiait l’ex-premier ministre à Raymond Saint-Pierre.

« Après octobre 1970, il voulait présenter une image de fermeté », observe M. Saint-Pierre. Il s’agissait de couper l’herbe sous le pied aux créditistes, au courant de droite « alors en forte montée ».

« Le climat social était déterminant, c’était après octobre 1970, il y avait le FRAP à Montréal, les électeurs craignaient un retour de la violence », se souvient Pierre Bibeau, déjà organisateur libéral à l’époque.

M. Bourassa, probablement, se souviendra de cette situation à la campagne électorale de 1989. Devant les infirmières qui avaient déclenché un douloureux débrayage, le chef libéral avait frappé sur la table. « Qui mène au Québec ? », une formule qui l’amènera à une très confortable majorité sur Jacques Parizeau.

Les sorties très surprenantes de François Legault, et même de Jean Boulet, sur l’immigration visaient-elles aussi à canaliser ce vote de droite ?

Rectificatif
Ce texte mentionnait initialement que René-Lévesque avait été défait dans la circonscription de Laurier en 1973. Or, cette année-là, il a été battu dans Dorion, après l’avoir été dans Laurier aux élections précédentes. Nos excuses.