Selon un décompte de La Presse, au moins 75 meurtres et tentatives de meurtre par balle et évènements de coups de feu sans victime sont survenus à Montréal depuis le début de l’année, ce qui représente un évènement tous les trois jours.

Sur les 21 meurtres perpétrés en date du 23 août, 14 – soit les deux tiers – ont été commis avec une arme à feu.

Au cours des 15 derniers jours, au moins 80 coups de feu ont été tirés lors de deux évènements distincts survenus dans le nord-est de Montréal et au cours desquels des victimes, apparemment sans histoire, ont été blessées.

Mardi, deux meurtres, vraisemblablement liés au crime organisé – et qui n’auraient aucun lien entre eux –, ont été commis à une demi-heure d’intervalle au Centre Rockland et dans un restaurant de la rue Saint-Denis.

Face à cette (autre) flambée de violence, le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal multiplie les sorties pour réclamer, minimalement, l’ajout de 250 policiers en s’inspirant de la promesse faite par la mairesse Valérie Plante l’automne dernier.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Des policiers, non loin du Centre Rockland, où un homme a été tué par balle mardi

Augmenter le nombre de policiers serait un minimum, croient effectivement plusieurs de nos sources policières.

Au cours des dernières années, plusieurs nouvelles équipes ont été créées au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et chaque fois, on a déshabillé Paul pour habiller Pierre.

Les deux Équipes multidisciplinaires dédiées aux armes à feu (EMAF), l’un des fers de lance de la lutte contre les armes à feu à Montréal, comptent huit enquêteurs chacune, ce qui est nettement insuffisant, déplorent nos sources.

On nous dit que cet été, durant les vacances, il ne restait que deux ou trois enquêteurs dans les EMAF.

Parfois, dans les boîtes d’enquête, on voudrait bien surveiller des suspects, mais la filature n’est pas possible, car il y a trop de chats à fouetter en même temps.

Pour remplir de nouvelles sections, on a recruté des patrouilleurs et vidé les postes de quartier. Dans certains d’entre eux, les effectifs sont faméliques durant certains jours de la semaine ou certaines heures de la journée.

La vice-première ministre du Québec et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, qui gazouille que les policiers du SPVM travaillent jour et nuit pour arrêter les coupables, ne croit pas si bien écrire : ils font des heures de fou.

« Je ne voudrais pas que mon T4 soit rendu public parce que les gens trouveraient ça épouvantable », nous a dit l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat, puisqu’il n’est pas autorisé à parler aux médias.

Fraudes meurtrières

Mais si l’ajout d’effectifs est un minimum, ce ne serait pas la panacée, disent également nos sources, qui croient que la lutte contre les armes à feu doit aussi se faire sur d’autres fronts.

« Aujourd’hui, on arrête des adolescents de 16 ans avec un pistolet de 5000 $ dans les mains », affirme un enquêteur selon qui les armes illégales qui prolifèrent sont payées avec les tonnes d’argent que ces jeunes amassent grâce aux fraudes.

L’enquêteur déplore que les enquêtes sur les fraudes soient difficiles et rarement une priorité, et que les peines soient « ridicules » parce qu’elles sont considérées comme un crime sans violence. « Pourtant, les fraudes engendrent des meurtres », dit-il.

Des policiers voudraient également que les défuntes escouades Gangs de rue, autrefois présentes dans l’ensemble de l’île de Montréal et dissoutes en 2016, soient ressuscitées, au moins dans les secteurs les plus chauds, parce que leurs ex-enquêteurs connaissaient bien les sujets liés aux gangs de rue dans leur ancien secteur et étaient en mesure de leur mettre la pression, de recruter des informateurs et ainsi de saisir des armes à feu et de prévenir des crimes graves.

« Les connaissances sur les gangs de rue se sont perdues avec les années. À part l’experte Caroline Raza, peu de gens connaissent encore bien les gangs au SPVM », ajoute l’enquêteur.

Nos sources se demandent aussi pourquoi des patrouilleurs de postes de quartier, comme le 45 dans Rivière-des-Prairies, ne travaillent pas la nuit alors que leur secteur est pourtant l’un des plus chauds à Montréal.

Elles pensent également que l’on devrait avoir plus de policiers dans l’Escouade Éclipse, qui sont parmi les mieux formés pour procéder à des interpellations.

Les gouvernements aussi

L’an dernier, Québec a annoncé 90 millions pour le lancement d’une stratégie appelée Centaure visant particulièrement les importateurs et distributeurs d’armes à feu illégales au Québec.

De telles enquêtes sont longues. Il faut donner la chance au coureur, mais des sources se demandent pourquoi les autorités n’ont pas créé dans la foulée une unité semblable à l’escouade intégrée Gun & Gang de Toronto, qui compte dans ses rangs, en plus des policiers, des procureurs spécialisés.

En 2015, la Cour suprême du Canada a invalidé la peine minimale de trois ans de pénitencier pour la possession d’une arme à feu prohibée, et les policiers interrogés croient que le gouvernement Trudeau devrait revenir à la charge avec de nouvelles dispositions plus sévères pour obtenir un effet dissuasif.

Ils pensent également que les frontières devraient être mieux surveillées qu’elles le sont actuellement.

Les policiers interrogés condamnent la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui a accepté la semaine dernière d’envoyer en maison de transition William Rainville, arrêté avec 250 carcasses de pistolets à la frontière, après qu’il a purgé seulement un an sur sa peine de cinq années. Ils croient que cela sape leurs efforts et envoie un très mauvais message, à un très mauvais moment.

Outre le SPVM et l’administration Plante, la balle est également dans le camp des deux ordres de gouvernement provincial et fédéral.

En attendant, Valérie Plante a beau dire que Montréal est sécuritaire, il l’est quand même moins depuis trois ans.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.