(Ottawa) Les sondages se multiplient. Ils indiquent tous la même chose. La Coalition avenir Québec (CAQ) a une telle avance dans les intentions de vote que l’on tient la réélection de François Legault pour acquise à Ottawa. La même logique s’impose aussi dans les capitales des autres provinces.

Les proches conseillers de Justin Trudeau n’entrevoient donc pas une relève de la garde à Québec le 3 octobre. Ils se montrent d’ailleurs circonspects lorsqu’on les interroge au sujet du rôle que joueront les libéraux fédéraux durant la campagne électorale qui devrait être déclenchée d’ici une dizaine de jours.

Seront-ils discrets, même si François Legault a ouvertement fait campagne contre le Parti libéral de Justin Trudeau, un parti dangereusement centralisateur à ses yeux, durant les élections fédérales, l’an dernier ? A contrario, vont-ils mettre leur grain de sel pour corriger les affirmations qu’ils jugeraient erronées ? La tentation sera forte chez certains ministres de s’immiscer dans la bataille électorale. D’autant qu’ils s’attendent à ce que le gouvernement fédéral soit la cible de quelques tirs de la part de François Legault d’ici le jour du scrutin.

« François Legault et la CAQ n’ont essentiellement pas d’adversaires au Québec. Ils s’en cherchent un. C’est sûr que ça va être le gouvernement fédéral, son adversaire », a prédit une source libérale à Ottawa qui a requis l’anonymat.

Mais les ministres et députés seront tenus de respecter le mot d’ordre du premier ministre. Car une ingérence de leur part pourrait irriter les électeurs du Québec et ouvrir la voie à une victoire encore plus écrasante de la CAQ.

« On va laisser les Québécois décider », a laissé tomber un proche collaborateur du premier ministre, rappelant au passage que les libéraux fédéraux ne s'étaient pas mêlés de la campagne électorale en Ontario, où Doug Ford a été facilement reporté au pouvoir malgré quelques faux pas au début de son mandat.

Quelques enjeux à prévoir

À Ottawa, on s’attend à ce que certains enjeux controversés tels que la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») et la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (« loi 96 »), visant à moderniser la Charte québécoise de la langue française, deux lois adoptées par le gouvernement Legault, refassent surface durant la campagne électorale.

Et de manière préventive, le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, un élu de la région de Montréal, a fait savoir en mai qu’Ottawa prendrait part à la contestation judiciaire de la loi 21 dès que le dossier aboutirait devant la Cour suprême. Le ministre a confirmé les intentions du gouvernement Trudeau durant un point de presse dans la métropole alors que la Cour d’appel du Québec n’avait pas encore entendu l’affaire. Une démarche qui a provoqué la colère de François Legault, qui a accusé son homologue fédéral de faire preuve d’un « manque de respect flagrant envers les Québécois ».

Le même jour, David Lametti a évoqué la possibilité que le gouvernement fédéral conteste aussi la loi 96 devant les tribunaux afin de défendre les droits des minorités qui, aux yeux du gouvernement Trudeau, seraient bafoués par cette loi. Or la publication cette semaine par Statistique Canada des données du recensement confirmant une autre fois le recul du français au Québec et dans le reste du pays fait en sorte que la pérennité de la langue française s’imposera comme un thème important de la campagne au Québec. Cela donnera l’occasion aux troupes de François Legault de défendre bec et ongles sa réforme de la loi 101, voire de proposer de nouvelles mesures qui pourraient irriter Ottawa.

La stratégie était simple : annoncer bien à l’avance les intentions fédérales pour éviter que cela ne devienne un thème dominant de la campagne québécoise.

D’autres enjeux, comme l’immigration ou le financement des soins de santé par le gouvernement fédéral, risquent de provoquer des étincelles. Dans ce dernier dossier, le gouvernement Trudeau sera la cible de tous les partis au Québec, lui qui refuse depuis deux ans la demande des provinces d’augmenter les transferts en santé.

Chose certaine, le Bloc québécois compte mettre tout son poids politique derrière son allié provincial, le Parti québécois, dès le déclenchement des hostilités. Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a sans doute préparé le terrain en effectuant sa traditionnelle tournée du Québec cet été.

Des tensions qui resteront

Depuis l’arrivée au pouvoir de François Legault, les tensions entre Québec et Ottawa se sont multipliées. Il y a aussi des ministres du gouvernement Trudeau qui aimerait mieux marcher sur un tapis de clous que de se retrouver dans la même pièce que leurs homologues québécois. C’est notamment le cas du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, et du ministre de la Justice, David Lametti.

D’un autre côté, il existe des atomes crochus indéniables entre des ministres influents à Ottawa et leurs vis-à-vis à Québec. C’est notamment le cas du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui échange presque quotidiennement avec le ministre de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon. Cela est aussi vrai dans le cas du ministre du Patrimoine et lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, Pablo Rodriguez, et de la ministre Sonia LeBel, responsable des Relations canadiennes au sein du gouvernement Legault. La ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, et son homologue québécois, Eric Girard, ont aussi tissé des relations de travail étroites.

Une fois que la poussière électorale sera retombée au Québec, il incombera vraisemblablement à ces mêmes ministres de s’assurer que le courant continue de passer entre les deux capitales.