Le Manitoba aura bientôt une première ministre

(Ottawa) À une époque pas si lointaine, on comptait au moins quatre femmes qui dirigeaient les destinées d’une province au pays. On croyait alors que cela représentait le début d’une nouvelle ère où les femmes pourraient s’imposer de plus en plus dans un univers dominé par les hommes. Cet élan d’optimisme a toutefois été de courte durée.

Aujourd’hui, les officines du pouvoir à Ottawa et dans chaque capitale provinciale sont occupées par des hommes. Les mandats de première ministre qu’ont obtenus Pauline Marois à Québec (2012-2014), Kathleen Wynne en Ontario (2013-2018), Rachel Notley en Alberta (2015-2019) et Christy Clark en Colombie-Britannique (2011-2017) ont certes permis de briser des plafonds de verre. Ces femmes en ont inspiré d’autres. Mais cela n’a pas empêché la politique canadienne de redevenir ce qu’elle avait toujours été : un domaine essentiellement dominé par les hommes.

PHOTO STEVE LAMBERT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Shelly Glover, candidate à la direction du Parti progressiste-conservateur du Manitoba

À son tour, le Manitoba s’apprête à envoyer une femme dans ce boys club, comme le décrivait Pauline Marois en septembre 2020 dans son autobiographie où elle rappelait les sacrifices que doivent faire les femmes pour réussir en politique.

À compter du 30 octobre, le Manitoba sera en effet dirigé pour la première fois de son histoire par une femme. Une course au leadership a lieu en ce moment pour remplacer l’ancien premier ministre Brian Pallister, qui a décidé de quitter subitement ses fonctions en août alors qu’il lui restait deux ans à son deuxième mandat, obtenu en septembre 2019. Seules deux femmes sont sur les rangs pour lui succéder.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE HEATHER STEFANSON

Heather Stefanson, candidate à la direction du Parti progressiste-conservateur du Manitoba

Il s’agit de Shelly Glover, ancienne policière de Winnipeg qui a aussi été ministre du Patrimoine dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper à Ottawa, et de Heather Stefanson, qui était ministre de la Santé dans le gouvernement du Manitoba avant de se lancer dans la course au leadership.

La candidate victorieuse de cette course sera propulsée rapidement sur la scène nationale tandis que les relations fédérales-provinciales s’imposeront comme un enjeu de taille pour le gouvernement de Justin Trudeau.

C’est que toutes les provinces, sans exception, réclament une hausse substantielle des transferts en santé. Le Conseil de la fédération, qui regroupe toutes les provinces, estime qu’Ottawa doit payer au moins 35 % de la facture des coûts des soins de santé au lieu de 22 %, comme c’est le cas actuellement. Une telle augmentation se traduirait par une majoration des transferts de 28 milliards par an. Justin Trudeau s’est dit prêt à discuter de ce dossier avec ses homologues provinciaux, mais seulement une fois que la pandémie de COVID-19 ne serait plus qu’un mauvais souvenir.

Avant sa démission, Brian Pallister avait pris la relève du premier ministre François Legault en tant que président du Conseil de la fédération pendant la prochaine année. Son départ a entraîné un jeu de chaises musicales. Le premier ministre de la Colombie-Britannique John Horgan, qui était vice-président du Conseil de la fédération depuis le 17 juin, s’acquitte des fonctions de président. Le Manitoba occupera la vice-présidence cette année et reprendra la présidence du Conseil en 2022.

Résultat : la nouvelle première ministre du Manitoba s’exprimera, à compter de l’an prochain, au nom de ses homologues des provinces et des territoires sur les grands dossiers qui touchent les relations avec Ottawa.

D’ici deux ans, elle pourrait avoir une autre collègue à la tête d’une province. En Alberta, le premier ministre Jason Kenney bat des records d’impopularité en raison de sa gestion de la pandémie, entre autres choses. Cela ouvre toute grande la porte à un retour au pouvoir de la néo-démocrate Rachel Notley en 2023. Mais les conservateurs provinciaux n’ont pas dit leur dernier mot. Ils pourraient montrer la porte à Jason Kenney au printemps prochain pour éviter une défaite aux urnes, comme ils l’ont déjà fait dans le passé quand un chef devenait un boulet.

Un tour d’horizon des leaders politiques qui œuvrent sur la scène provinciale force tout de même un constat. À l’exception de Rachel Notley, peu de femmes sont à la tête d’un parti en mesure de remporter les prochaines élections dans leur province respective.

« C’est un monde, le boys club, qui a ses règles, qui a ses façons de faire, qui est impossible à pénétrer à toutes fins pratiques », affirmait l’ancienne première ministre Pauline Marois dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne au moment du lancement de son autobiographie, Pauline Marois – Au-delà du pouvoir, publiée aux Éditions Québec Amérique, l’an dernier.

Le même constat s’impose sur la scène fédérale. Le pays a eu à sa tête une seule première ministre, Kim Campbell, en 1990, après qu’elle eut été choisie par les militants du Parti progressiste-conservateur pour succéder à Brian Mulroney. Aux élections fédérales quatre mois plus tard, Mme Campbell encaissait la pire défaite de l’histoire de son parti, qui a été réduit à deux sièges seulement aux Communes.

Cela dit, Justin Trudeau semble préparer le terrain pour qu’une femme prenne la relève à la tête du Parti libéral du Canada après son règne. Chrystia Freeland, qui est devenue la toute première femme à devenir ministre des Finances l’an dernier, est considérée comme la dauphine du premier ministre. Mme Freeland, qui cumule aussi les fonctions de vice-première ministre, a été reconduite dans son poste une dizaine de jours seulement après les élections. Elle est d’ailleurs la seule à avoir obtenu un tel traitement de la part du premier ministre jusqu’ici.