(Québec) Dure soirée électorale pour François Legault. De un, Justin Trudeau est réélu. De deux, sa prise de position dans la campagne fédérale n’a pas vraiment eu d’effet.

Certes, Justin Trudeau n’a pas obtenu la majorité de sièges qu’il souhaitait en plongeant le pays en campagne électorale. Il ne faisait pas de gains supplémentaires au Québec au moment d’écrire ces lignes. Ce sera la seule consolation pour François Legault.

Le premier ministre du Québec espérait ouvertement l’élection d’un gouvernement conservateur, avec le Bloc québécois qui l’appuierait. Il a lancé des fleurs à Erin O’Toole pour plusieurs de ses promesses et, surtout, il a incité les électeurs à se « méfier » de Justin Trudeau et de son programme « dangereux ».

Sa prise de position était inusitée pour un premier ministre du Québec. C’était aussi un pari risqué. François Legault a dépensé du « capital politique » dans cette opération. Il a estimé qu’il en avait les moyens compte tenu de son taux de popularité.

François Legault est maintenant forcé de composer avec le parti « centralisateur » qu’il a tant décrié dans les derniers jours.

Les relations Québec-Ottawa seront pour le moins difficiles au cours des prochains mois.

Justin Trudeau a beaucoup fait campagne sur le thème de la santé. Il voudra concrétiser ses promesses qui empiètent dans les champs de compétence du Québec, dont l’instauration de normes pancanadiennes dans les CHSLD. François Legault disait que le programme libéral provoquerait « plus de chicanes ». La collision paraît inévitable à court terme.

S’il s’est contenté d’évoquer de futures discussions au sujet des transferts en santé – la priorité des provinces –, Justin Trudeau a promis plus de 20 milliards de dollars en nouveaux investissements de toutes sortes dans ce secteur : 6 milliards pour accélérer l’élimination des listes d’attente dans les réseaux de la santé, 6 milliards pour les soins de longue durée, 3 milliards pour embaucher 7500 médecins de famille et infirmières praticiennes… Il a promis beaucoup plus d’argent qu’Erin O’Toole pour la santé, mais il veut imposer ses conditions. Il devra négocier avec les provinces, et son statut minoritaire pourrait l’amener à être conciliant. C’est du moins ce que l’on souhaite à Québec.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Legault et Justin Trudeau, en août dernier

Après tout ce qu’il a dit durant la campagne fédérale, François Legault ne pourra se permettre d’accepter un chèque du fédéral si des conditions lui sont rattachées – alors que d’autres premiers ministres provinciaux et territoriaux pourraient avoir moins de scrupules. Il tentera d’obtenir d’Ottawa, pour chaque initiative fédérale, un droit de retrait avec pleine compensation financière.

C’est ce que Justin Trudeau lui a donné avec l’entente sur les services de garde, qui prévoit le transfert de 6 milliards de dollars en cinq ans. La victoire libérale garantit le maintien de cet accord que les conservateurs voulaient déchirer.

Les deux premiers ministres étaient à tu et à toi lors de l’annonce de cette entente. On ne verra pas cette scène se reproduire de sitôt… Les sorties répétées de M. Legault contre le Parti libéral du Canada – y compris la veille du vote – vont laisser des traces.

Le premier ministre du Québec sera en campagne électorale dans un an, et on voit difficilement comment Justin Trudeau voudrait lui faire des cadeaux d’ici là.

Avec les ententes sur les services de garde, le logement, la formation de la main-d’œuvre, l’aéronautique et l’internet haute vitesse, François Legault a su tirer le maximum d’un premier ministre fédéral qui souhaitait ouvrir la voie à la tenue d’élections. Ce serait étonnant que Justin Trudeau continue d’avoir un élan de générosité envers M. Legault… Pourquoi Justin Trudeau accepterait-il, par exemple, de financer à hauteur de 40 % le projet de tunnel Québec-Lévis alors que son homologue a coupé les ponts avec lui en pleine campagne ?

Le plan nationaliste de la Coalition avenir Québec, qui vise à faire des gains avec le fédéral grâce à des ententes négociées, sera probablement compromis pour le reste du mandat. François Legault a fait de l’obtention de pouvoirs supplémentaires en immigration le deuxième dossier en importance avec le fédéral après les transferts en santé. Justin Trudeau n’a pris aucun engagement à ce chapitre. Ce serait surprenant de le voir céder aux pressions de son homologue sur ce front, du moins à court terme.

François Legault s’est présenté récemment comme le « chef de la nation québécoise », dans une opération visant à lancer sa précampagne électorale et à marginaliser les autres partis. Les intentions de Justin Trudeau le pousseront encore davantage à s’ériger en défenseur « des compétences et des valeurs québécoises ». Le fédéral pourrait devenir l’épouvantail d’ici les élections québécoises. François Legault ne serait pas le premier dirigeant du Québec à utiliser des différends avec Ottawa pour faire vibrer la corde nationaliste et marquer des points dans l’électorat.