(Ottawa) À la mi-août, Justin Trudeau a déclenché des élections anticipées en pleine pandémie. Son but était d’obtenir un mandat majoritaire. Mais ces élections jugées inutiles par beaucoup de gens se sont transformées en un référendum sur l’ère Trudeau.

En se voyant confier lundi soir un deuxième mandat minoritaire, presque identique au précédent, Justin Trudeau se voit forcé d’entreprendre une profonde réflexion au sujet de son avenir. Durant la campagne, de nombreux candidats libéraux se sont fait dire en faisant du porte-à-porte que leur chef n’était plus l’homme de la situation. « C’est sa dernière élection », a même avancé un candidat libéral dans la région d’Ottawa quand il entendait les critiques acerbes au sujet du chef libéral.

En somme, Justin Trudeau, après six ans de pouvoir, est devenu un boulet pour son parti. L’usure du pouvoir a fait son œuvre, même si le gouvernement libéral qu’il dirige a reçu de bonnes notes pour sa gestion de la pandémie, notamment en ce qui a trait à l’approvisionnement en vaccins.

Cet appel aux urnes n’aura pas changé grand-chose à la composition du Parlement. Les forces politiques qui occuperont les banquettes de la Chambre des communes dans quelques semaines seront essentiellement les mêmes que celles qui s’y trouvaient avant que Justin Trudeau ne rencontre la gouverneure générale Mary Simon pour lui demander de dissoudre le Parlement. Cet exercice démocratique qui s’est soldé par le statu quo aura tout de même coûté 612 millions de dollars aux contribuables.

Jamais dans l’histoire du pays un premier ministre n’a tenté d’obtenir un quatrième mandat après avoir dirigé deux gouvernements minoritaires.

Certes, les troupes libérales ne vont pas pousser M. Trudeau vers la porte de sortie. Le premier ministre se verra accorder le temps nécessaire pour statuer sur son avenir, d’autant que de nombreux dossiers se trouvent déjà sur son bureau. La quatrième vague de la pandémie prend de l’ampleur au pays. La reprise économique est fragile. La frontière canado-américaine n’est que partiellement ouverte. Des alliés traditionnels écartent le Canada dans la création de nouvelles alliances. Le rapatriement des réfugiés afghans a connu des ratés. Les provinces réclament une augmentation des transferts en santé.

Trudeau… et les autres chefs

Mais déjà en coulisses, des stratèges libéraux commencent à évoquer l’après-Justin Trudeau. Certains voient la ministre des Finances, Chrystia Freeland, comme la digne héritière. Elle pourrait ainsi devenir la première femme à prendre les commandes du Parti libéral. Mais d’autres candidats seront sur les rangs. Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, sera du nombre. Des libéraux tenteront aussi de convaincre l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney de faire enfin le saut en politique. D’autres évoquent le nom de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand.

Reste qu’en remportant un autre mandat minoritaire, Justin Trudeau pourra protéger ce qui deviendra l’un des principaux legs de son règne : la création d’un réseau national de garderies.

Avant le déclenchement des élections, le gouvernement Trudeau avait conclu des ententes sur ce programme avec sept provinces et un territoire. Il ne manque que l’Ontario, l’Alberta et le Nouveau-Brunswick pour terminer ce grand chantier inspiré du modèle québécois. Des négociations pourront reprendre avec ces trois provinces d’ici quelques semaines.

Justin Trudeau ne sera pas le seul à faire un examen de conscience. Après avoir imposé un virage centriste à son parti sur des enjeux tels que la lutte contre les changements climatiques, l’avortement et le retour à l’équilibre budgétaire, le chef conservateur Erin O’Toole risque d’essuyer des critiques d’une frange de sa base, notamment dans l’Ouest. Son virage n’a pas été suffisant, en particulier en Ontario, pour permettre au Parti conservateur de supplanter le Parti libéral.

Élu il y a un an à peine, M. O’Toole devra soumettre son leadership à un vote de confiance dès le prochain congrès conservateur suivant les élections fédérales. Ce congrès devrait avoir lieu l’an prochain. Mince consolation : le Parti conservateur a de nouveau remporté le vote populaire, comme en 2019.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, devra aussi se poser un certain nombre de questions. Au deuxième jour de la campagne, il avait fixé un objectif ambitieux : remporter 40 sièges au Québec. La récolte a été bien en deçà de ses propres attentes, même si le Bloc a augmenté le pourcentage de son vote lundi soir.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, est le seul qui ait vu son parti faire des gains lundi soir. Mais ils sont nettement inférieurs aux calculs des stratèges néo-démocrates. Le NPD fait généralement preuve de patience envers ses chefs. L’ancien leader néo-démocrate Thomas Mulcair, qui s’est fait montrer la porte de sortie par ses troupes après les élections de 2015, est l’exception qui confirme cette règle.

Chose certaine, les jours d’Annamie Paul à la tête du Parti vert sont comptés. Elle a conduit ses troupes à son pire résultat électoral en près de 20 ans. Elle avait déjà laissé entendre qu’elle démissionnerait si elle ne remportait pas la victoire dans Toronto-Centre.

La campagne électorale a de nouveau mis en relief de vives tensions régionales. Le premier ministre du Québec, François Legault, s’est immiscé dans cette campagne fédérale en invitant les Québécois à ne pas voter pour le Parti libéral ou le NPD à cause de leurs velléités centralisatrices « dangereuses » pour les pouvoirs du Québec.

Dans environ un mois, l’Alberta tiendra un référendum sur le programme fédéral de péréquation. Le gouvernement de Jason Kenney demandera aux Albertains s’ils souhaitent que ce programme, qui soulève la grogne depuis des années dans l’Ouest, soit retiré de la Constitution. Le référendum aura lieu en même temps que les élections municipales dans la province. Un Oui retentissant est attendu. Le gouvernement fédéral devra prendre acte du verdict des Albertains. L’ignorer pourrait accentuer encore plus le sentiment d’aliénation.

L’unité nationale a été mise à rude épreuve durant cette campagne. Elle le sera tout autant à la lumière des résultats des élections fédérales.