(Ottawa ) Les électeurs de la Nouvelle-Écosse se rendent aux urnes ce mardi. En soi, cet évènement ne devrait pas interpeller les stratèges des différents partis politiques sur la scène fédérale. Ils ont d’autres chats à fouetter depuis que Justin Trudeau a plongé le pays en campagne électorale dimanche.

Mais plusieurs d’entre eux auront tout de même les yeux rivés sur leur petit écran. Ils piaffent d’impatience de savoir si la tendance qui s’est installée depuis le début de la pandémie se maintiendra. Cette tendance veut que les électeurs récompensent le parti au pouvoir en lui accordant un nouveau mandat, souvent plus fort que le précédent, lors d’élections générales.

Deux gouvernements minoritaires – celui de Blaine Higgs, au Nouveau-Brunswick, et celui de John Horgan, en Colombie-Britannique – ont même été reportés au pouvoir en obtenant un mandat majoritaire, alors que la deuxième vague de la pandémie battait son plein, l’an dernier.

En Saskatchewan, le gouvernement de Scott Moe a été reconduit au pouvoir sans difficulté l’automne dernier, tandis que les libéraux à Terre-Neuve-et-Labrador ont réussi à décrocher un autre mandat au printemps.

Cette tendance n’a pas échappé aux stratèges libéraux à Ottawa au moment d’examiner le meilleur calendrier électoral pour transformer le mandat minoritaire obtenu en octobre 2019 en mandat majoritaire.

Les succès de la campagne nationale de vaccination du gouvernement Trudeau de même que la gestion de la crise sanitaire, en particulier le soutien financier offert aux familles, aux travailleurs et aux entreprises, étaient considérés comme un tremplin idéal pour solliciter un autre mandat.

En Nouvelle-Écosse, le premier ministre Iain Rankin, qui a été choisi chef du Parti libéral de la province en février, a décidé de déclencher des élections en plein été. Le contexte politique lui était des plus favorables. Au début de la campagne, son parti, qui sollicite un troisième mandat, se dirigeait vers une victoire facile, recueillant près de 50 % des appuis. Mais au cours de la dernière semaine, après un difficile débat télévisé et une controverse provoquée par le retrait d’une candidate ayant publié des photos suggestives, la lutte s’est resserrée. Il est maintenant plus hasardeux de prévoir l’issue de ce scrutin.

Selon le plus récent coup de sonde, mené par la firme Narrative Research, les libéraux ont perdu une dizaine de points de pourcentage. Le Parti conservateur a vu ses appuis passer de 24 % à 31 %, et le Nouveau Parti démocratique (NPD) est passé de 19 % à 27 %. Mais plus important encore, le nombre d’indécis frôlait les 35 % la semaine dernière.

Selon le politologue de l’Université McGill Daniel Béland, il faut être très prudent en analysant ce sondage. « Les gens sont en général assez satisfaits du gouvernement provincial (61 %). La pandémie n’a pas joué un rôle central en Nouvelle-Écosse comme dans d’autres provinces. Les enjeux sont vraiment locaux. Les conservateurs ont mené une campagne en mettant l’accent sur la santé. Et c’est une campagne courte. Elle dure seulement 30 jours, soit le minimum en Nouvelle-Écosse. Donc, elle est encore plus courte que la campagne fédérale, qui dure 36 jours », a souligné M. Béland, qui est directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill.

Les comparaisons entre une campagne nationale et une campagne provinciale ont leurs limites. Sur la scène fédérale, les partis doivent se livrer des luttes régionales particulièrement intenses. Au Québec, le Parti libéral a comme principal adversaire le Bloc québécois, sauf dans la région de Québec, où le Parti conservateur s’impose scrutin après scrutin depuis 2006.

En Colombie-Britannique, on assiste à une lutte à trois entre le Parti libéral, le NPD et le Parti conservateur. Dans une poignée de circonscriptions de cette province, le Parti vert est aussi à suivre. En Ontario, le Parti libéral domine, en particulier dans la région de Toronto, riche en sièges, mais le NPD a récemment gagné du terrain dans la province la plus populeuse, dégageant la possibilité de quelques surprises le jour du scrutin.

Dans les provinces atlantiques, le Parti libéral est aussi dominant. Après avoir balayé les 32 sièges de cette région en 2015, il en détient encore 27.

Cela dit, les libéraux fédéraux ont repris à leur compte certaines stratégies utilisées par leurs cousins provinciaux de la Nouvelle-Écosse. D’abord, ils ont opté pour une courte campagne électorale durant l’été. Ensuite, ils ont brandi l’idée d’imposer la vaccination pour être en mesure de manger au restaurant, d’assister à des spectacles ou de s’entraîner dans un gymnase.

Sur la défensive, le chef libéral Iain Rankin a sorti ce lapin de son chapeau durant la dernière semaine de la campagne, après que le premier ministre du Québec, François Legault, a annoncé son intention d’imposer un tel passeport dans la province à compter du 1er septembre.

Le chef libéral Justin Trudeau a indiqué qu’il examinait cette possibilité il y a une dizaine de jours alors qu’il était aux côtés de son homologue québécois pour confirmer l’entente sur le financement des services de garde conclue entre Ottawa et Québec. Par la suite, des ministres de son cabinet ont confirmé, à deux jours du déclenchement des élections, que le gouvernement fédéral imposera la vaccination contre la COVID-19 à tous les fonctionnaires et employés de sociétés d’État. En outre, cette obligation s’appliquera aux voyageurs de vols commerciaux, aux passagers de trains interprovinciaux ainsi qu’aux passagers de navires de croisière.

Dès le premier jour de la campagne fédérale, l’idée de rendre la vaccination obligatoire pour les fonctionnaires fédéraux a mis sur la défensive le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole. Une partie de son électorat est farouchement opposée à une telle initiative. Des controverses, des déclarations maladroites, des sorties inopinées, il va y en avoir durant la campagne fédérale.

Selon Daniel Béland, les élections en Nouvelle-Écosse confirment un fait indéniable : les campagnes électorales comptent.

« Qu’il y ait une pandémie ou pas, c’est important, une campagne électorale. Quand on fait des erreurs, on peut perdre des plumes. Cela ne veut pas dire que les libéraux provinciaux vont perdre. Il y a 35 % d’indécis, et les gens en général sont satisfaits du gouvernement. Mais Iain Rankin est jeune et il a fait des erreurs alors que le Parti conservateur et le NPD ont fait une belle campagne », a-t-il analysé.

« Même durant une campagne très courte, et même si on est en avance dans les sondages, cela ne veut pas dire que l’on va réussir et gagner son pari. Les libéraux ont été éprouvés durant la campagne. Ils s’attendaient à surfer facilement vers une majorité. Sur la scène fédérale, il faut rappeler que dans le cas des libéraux, on évalue qu’ils ont seulement une chance sur deux de remporter une majorité. Et on est au début de la campagne. Ça peut donc changer d’un côté ou de l’autre », a-t-il ajouté.