(Ottawa ) Les signes se multiplient. Ils pointent tous dans la même direction. Des élections fédérales se profilent à l’horizon. À moins d’un revirement de taille, le premier ministre Justin Trudeau donnera le signal de départ d’ici à la fin d’août ou au début de septembre. Les Canadiens seront convoqués aux urnes cinq semaines plus tard.

Justin Trudeau a lui-même laissé tomber quelques indices en ce sens cette semaine, quelques heures avant la fin des travaux parlementaires. Le climat qui règne dans cette enceinte de la démocratie canadienne est devenu « toxique », a-t-il fait valoir en conférence de presse à Rideau Cottage mardi. Le Parti conservateur se livre à des manœuvres obstructionnistes, a-t-il aussi avancé. Un exemple ? Les troupes d’Erin O’Toole retardent indûment l’adoption des mesures « progressistes », comme le projet de loi C-10 qui vise à réglementer les géants du web en les contraignant à contribuer au financement et à la découverte de contenu culturel canadien, a-t-il argué.

Le projet de loi a finalement été adopté au petit matin, mardi, avec le concours du Bloc québécois. Le projet de loi C-12 sur l’obligation du Canada d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, une autre priorité du gouvernement libéral, a aussi été adopté mardi soir.

Il n’en demeure pas moins que les attaques du premier ministre constituent des signes indéniables d’un appétit croissant de la part des troupes libérales de plonger le pays en campagne électorale.

D’autant plus que la campagne de vaccination va bon train. D’ici à la fin d’août, 75 % des Canadiens de 12 ans et plus devraient être pleinement vaccinés contre la COVID-19 – un critère maintes fois évoqué par M. Trudeau et ses principaux ministres qui marquera le retour à la normale et la fin de cette pandémie.

Dans une entrevue accordée à Radio-Canada durant l’émission Tout un matin, mercredi, M. Trudeau a laissé tomber un autre indice. La nomination d’un nouveau gouverneur général sera annoncée « prochainement ». Le poste est vacant depuis la démission de Julie Payette, en janvier. Elle a été contrainte de quitter ses fonctions à la suite de la publication d’un rapport confirmant qu’elle avait instauré un climat de travail toxique à Rideau Hall.

Selon le protocole, le premier ministre doit demander au gouverneur général de dissoudre le Parlement pour convoquer les électeurs aux urnes.

De l’avis de plusieurs observateurs, la 43e législature du Parlement issue des élections d’octobre 2019 a atteint la fin de sa vie utile. Au cours des dernières semaines, les échanges acrimonieux entre le gouvernement libéral et les partis de l’opposition se sont multipliés. La bonne collaboration, qui était de mise au début de la pandémie, l’an dernier, pour adopter rapidement des mesures d’aide pour les familles, les travailleurs et les entreprises, a maintenant cédé le pas à la partisanerie sans retenue.

En septembre, cela fera presque deux ans que Justin Trudeau a été réélu à la tête d’un gouvernement minoritaire. Cela correspond à la durée de vie moyenne d’un gouvernement minoritaire, soit entre 18 et 24 mois.

Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, est aussi arrivé au constat qu’un appel au peuple arrive à grands pas. La semaine dernière, il s’est adressé directement aux Canadiens durant la période de questions tandis qu’il réclamait la démission du ministre de la Défense, Harjit Sajjan, sur la sellette en raison de sa gestion du dossier des allégations d’inconduite sexuelle visant les hauts gradés des Forces armées canadiennes.

« Le ministre refuse de faire ce qui s’impose et de remettre sa démission après avoir laissé tomber les femmes des Forces armées canadiennes. Le premier ministre refuse de le congédier. […] Je m’adresse directement aux électeurs. S’ils veulent mettre fin aux opérations de camouflage des cas d’inconduite sexuelle dans les Forces armées […], il leur reviendra de soutenir les conservateurs aux prochaines élections, d’exiger mieux et de remplacer le ministre de la Défense le plus corrompu et le plus incompétent de l’histoire du Canada. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

Mercredi, Erin O’Toole a invité les médias à assister à son discours devant son caucus. Il en a profité pour esquisser les grandes lignes de ce qui sera les thèmes qu’il martèlera durant la campagne.

Le Parti libéral, le Bloc québécois, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti vert sont tous issus du même moule idéologique, a-t-il notamment affirmé.

Il n’y a pas de différence entre les libéraux, le NPD, les verts et le Bloc québécois. Ils sont tous pareils. Ils font partie du problème.

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur

Il a ensuite énuméré les priorités d’un futur gouvernement conservateur : l’économie, la lutte contre la corruption, des investissements en santé mentale et le redressement des finances publiques.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui souhaitait des élections fédérales dès l’automne dernier avant de se raviser au début de l’année quand la troisième vague de la COVID-19 a frappé le pays, a profité de la dernière session parlementaire pour soigneusement délimiter le terrain nationaliste qu’il entend labourer aux prochaines élections afin de conserver, voire augmenter le nombre de sièges bloquistes.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Aux Communes, il a notamment réussi à faire adopter par une écrasante majorité une motion qui endosse les velléités du gouvernement Legault énoncées dans son projet de loi 96 déposé à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi vise à modifier les articles de la Loi constitutionnelle de 1982 qui touchent le Québec afin d’y insérer deux éléments, à savoir que les Québécois et les Québécoises forment une nation et que le français est la langue officielle du Québec.

Réitérant sa conviction que des élections ne sont pas nécessaires tant que la pandémie ne sera pas entièrement derrière nous, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a semblé se résigner à la tenue d’un scrutin. Durant sa dernière conférence de presse de la session parlementaire, il a accusé les libéraux d’être assoiffés de pouvoir. « Si l’on se fie au gouvernement libéral, c’est un fait accompli qu’on va avoir une élection cet automne ou cet été. Mais ce n’est pas nécessaire de déclencher une élection. Nous avons un mandat de quatre ans. »

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Jagmeet Singh, chef du NPD

Si Justin Trudeau déclenche des élections, cela voudra dire que tout ce qu’il a promis jusqu’ici était seulement des gestes symboliques. S’ils sont sérieux de faire le travail, on est là pour faire passer les projets de loi qui vont faire avancer les choses.

Jagmeet Singh, chef du NPD

Le Parti vert, pendant ce temps, est toujours en proie à une crise interne à la suite de la décision de la députée Jenica Atwin de claquer la porte du parti au profit du Parti libéral à cause des louvoiements de la chef Annamie Paul sur le conflit israélo-palestinien.

Depuis des semaines, tous les partis politiques recrutent des candidats, garnissent leur trésor de guerre, cajolent virtuellement leurs militants, peaufinent leur programme électoral et élaborent leurs stratégies en prévision de cette campagne qui se déroulera dans un contexte particulier. La grande inconnue : l’humeur de l’électorat. Après une longue période de confinement, les électeurs auront-ils envie de récompenser les libéraux de Justin Trudeau pour la gestion de la pandémie en leur accordant un mandat majoritaire ? Ou le goût du changement sera-t-il plus fort qu’au dernier scrutin au point de les porter à confier les rênes du pouvoir à un autre parti ? Les députés pourront bientôt sillonner leurs circonscriptions. Ils auront un avant-goût du jugement qui s’en vient.