Encore une fois, les questions d’immigration donnent lieu à une guerre de chiffres. Cette fois-ci, c’est devant la Cour d’appel, dans la cause portant sur l’accès des enfants de demandeurs d’asile aux places de garde subventionnées. Combien sont-ils ? Comment affectent-ils les listes d’attentes ? Prennent-ils la place des petits Québécois ?

Ce qu’il faut savoir

Le gouvernement a demandé jeudi à la Cour d’appel de suspendre sa décision sur l’accès des demandeurs d’asile aux places de garde subventionnées.

Le Procureur général soutient que l’ajout d’environ 10 000 enfants demandeurs d’asile va exercer une pression excessive sur le réseau.

Les avocats de l’autre partie rétorquent qu’il y a 1175 places de garde subventionnées vacantes à Montréal.

Ce sont des arguments de cette nature que le gouvernement du Québec a évoqués, jeudi, pour demander à la Cour d’appel de suspendre sa décision du 7 février dernier, l’obligeant à ouvrir la porte des garderies à contribution réduite aux enfants de demandeurs d’asile détenant un permis de travail.

Cette décision était exécutoire, c’est-à-dire qu’elle s’appliquait immédiatement.

Le Procureur général du gouvernement est revenu devant ce même tribunal, jeudi, pour lui demander de suspendre l’exécution de sa décision jusqu’à ce que la Cour suprême se penche sur le dossier.

Québec avait annoncé le 21 février son intention de faire appel de ce jugement devant le plus haut tribunal du pays, quoique cet appel n’ait pas encore été déposé et qu’on ignore si la Cour suprême acceptera d’entendre la cause.

Pour défendre son point de vue, le Procureur général devait convaincre la Cour d’appel que l’application immédiate de sa décision causerait un « tort irréparable » au gouvernement du Québec. Les plaidoiries ont donc largement reposé sur cette question.

L’argumentaire de Québec est le suivant : les listes d’attente pour les garderies subventionnées sont déjà longues – 32 000 enfants sont actuellement en attente d’une place. Si les demandeurs d’asile ont accès au réseau, jusqu’à 10 000 enfants pourraient s’ajouter.

Cela forcerait Québec à investir immédiatement dans des installations additionnelles pour satisfaire aux besoins de cette nouvelle clientèle, alors qu’il est possible que la Cour suprême lui donne raison.

Les places vacantes

Les avocats de l’autre partie ont décelé des failles dans ce raisonnement, notamment le fait que ce ne sont pas les demandeurs d’asile qui sont responsables de cette longue liste d’attente, mais bien les ratés du système. Il n’y a pas une seule liste d’attente, il y a plusieurs listes d’attente selon les régions, a rappelé MSibel Ataogul, qui défend cette cause bénévolement (pro bono) avec son collègue MGuillaume Grenier.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

MSibel Ataogul et MGuillaume Grenier défendent pro bono la cause des demandeurs d’asile. On les voit ici à la Cour d’appel.

L’ajout d’enfants de demandeurs d’asile à ces listes n’affecte pas ceux qui y sont depuis plus longtemps. Autrement dit, cela ne change rien à la donne.

« La majorité des demandeurs sont à Montréal », a dit MAtaogul.

À Montréal, il y a des places vacantes, beaucoup de places vacantes. Selon les données que nous avons soumises, il y avait 1175 places vacantes en ce moment. Donc, quel est le préjudice irréparable ?

MSibel Ataogul

« On vous soumet qu’il y a un intérêt public de ne pas laisser perdurer une loi qui a déjà été déclarée inconstitutionnelle parce qu’elle est discriminatoire », a-t-elle ajouté en s’adressant à la juge Lori Renée Weitzman.

Un jugement clair

Le débat portait aussi sur les raisons pour lesquelles Québec voudrait faire appel de ce jugement, qui repose sur le caractère discriminatoire du règlement interdisant l’accès aux garderies subventionnées, en limitant l’accès des femmes au marché du travail. Le tribunal a statué que ce règlement contrevenait à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La démarche du gouvernement du Québec repose sur l’hypothèse que la Cour suprême pourrait lui donner raison.

« La Cour suprême ne s’est pas encore prononcée sur la validité de la décision. Il n’y a pas encore un jugement définitif. Les droits ne sont pas définitivement tranchés dans la mesure où on dit qu’on va saisir la Cour suprême de la question », a déclaré le Procureur général.

Un argument qui ne semble pas avoir convaincu la juge Weitzman.

« C’est votre droit, mais pour l’instant, je ne suis pas dans une situation d’un jugement interlocutoire provisoire. Nous avons un jugement clair », a-t-elle dit, faisant référence au fait que la décision de Cour d’appel, rendue après trois mois de délibération, était un jugement étoffé et unanime de quelque 60 pages. Et qui, de surcroît, confirmait en bonne partie un autre jugement très étayé, celui de la Cour supérieure.

Le dossier a des dimensions politiques. D’une part parce qu’il porte sur les réfugiés et l’immigration, un terrain où Québec et Ottawa sont à couteaux tirés. D’autre part parce que le premier ministre François Legault a attaqué personnellement les juges ayant rendu cette décision, leur reprochant d’avoir été « nommés par le gouvernement fédéral »1.

La Cour d’appel a mis la cause en délibéré. Sa décision est attendue dans les prochains jours.

1. Lisez la chronique « François Legault et les “juges du fédéral” »