La baisse de service dans le transport interurbain est bien réelle. Pas moins de 85 % des départs ont disparu depuis 40 ans, souligne une nouvelle étude parue ce lundi. Les auteurs s’inquiètent du « désengagement » de l’État québécois dans cette industrie qui peine toujours à se relever de la pandémie.

Selon un rapport de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), qui se base sur plusieurs états des lieux dressés au fil du temps dans l’industrie, le nombre de départs hebdomadaires d’autocars privés « est passé de 6000 à 882 par semaine depuis 1981 », ce qui représente très précisément une baisse de 85,3 % des départs en 42 ans.

« Seulement dans les six dernières années, le nombre de départs de cette industrie a diminué de 33 % », écrit d’ailleurs l’Institut de recherche dans son étude.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance à la forte baisse, selon le chercheur de l’IRIS et auteur de l’étude, Colin Pratte. « D’abord, le gouvernement n’a jamais décidé de véritablement soutenir financièrement ce service comme il l’a fait pour le transport collectif urbain, où c’est entendu que c’est un service public qui n’a pas à être rentable », explique-t-il.

Sans soutien public, les entreprises ont agi comme toute entreprise privée sensée, en coupant dans les itinéraires déficitaires, donc les endroits où il y a un bassin démographique moins dense. Certaines ont même dû couper des fréquences de départs dans les corridors plus achalandés.

Colin Pratte, auteur de l’étude de l’IRIS

Ce phénomène s’observe encore aujourd’hui, estime le chercheur. En 2022, le programme d’aide au développement du transport collectif du ministère des Transports « allouait moins de 1 % de son enveloppe totale de 275 millions au transport interurbain par autocar », tandis que 94 % de cette somme revenait au transport urbain. C’est ce « déséquilibre » qui est en grande partie responsable de la situation, selon lui.

D’autres modèles existent

En octobre dernier, La Presse rapportait que le milieu du transport interurbain peine encore vivement à se relever de la pandémie, en raison du manque de soutien gouvernemental.

Lisez le dossier « Transport interurbain : ça ne roule plus »

Le président de l’Association des transports collectifs ruraux du Québec (ATCRQ), André Lavoie, avait alors fait valoir que la solution pourrait être de créer une autorité « qui aurait comme tâche d’organiser le transport interurbain et de donner les contrats à des privés pour exploiter ces lignes ».

« Il y aurait une sorte d’entité qui tisserait la toile d’araignée pour gérer le transport interurbain. Comme ça, au moins, il y aurait de la planification plus orientée vers le bien commun », avait-il raisonné.

Colin Pratte appuie cette position : il est urgent selon lui d’envisager d’autres modèles et de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, notamment aux États-Unis. « En Oregon et dans plusieurs autres États américains, ils ont du financement public récurrent pour les opérations de leurs autocars interurbains. Et ça va spécifiquement pour des trajets qui ne sont pas rentables », dit-il.

Selon lui, le Québec « fait bande à part » et laisse tomber des trajets locaux qui ne coûtent pas des sommes astronomiques. « Je pense à la ligne Saint-Georges–Québec qui a disparu en mars dernier. Ses [frais d’exploitation] étaient d’environ 500 000 $. Ce n’est pas grand-chose sur le budget total du gouvernement. On aurait pu faire quelque chose pour sauver ce trajet-là », dit M. Pratte.

Vers une disparition d’ici 15 ans ?

Pour l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau, il est aussi très clair que le système de transport interurbain a été « négligé » depuis quelques décennies au Québec.

« On est dans un cycle de déclin depuis 40 ans. C’est dû au manque de soutien de l’État, certes, mais aussi aux plateformes électroniques de covoiturage qui ont grugé une bonne partie du marché ou encore d’acteurs comme Communauto », évoque M. Barrieau.

Ça reste aussi une question de prix et le marché interurbain de l’autocar est bien souvent plus cher.

Pierre Barrieau, expert en planification des transports

Selon lui, si la tendance se maintient – et surtout si Québec ne sort pas le chéquier –, « on doit s’attendre à une disparition probablement totale du réseau d’ici 10 à 15 ans ».

En fait, la seule chose qui pourrait sauver l’industrie, croit Pierre Barrieau, « ce serait une prise en charge de l’État qui soit partielle ou totale ». « Moi, j’ai toujours cru que VIA Rail devrait jouer ce rôle, si on décidait d’aller dans cette direction, mais on n’y est pas du tout encore », conclut le spécialiste.