Inukjuak tourne le dos aux énergies fossiles avec l’entrée en service de sa centrale hydroélectrique, qui fournira à ses habitants une électricité « verte » et leur permettra d’éteindre leur chaudière au mazout, une première dans un village inuit dont Hydro-Québec entend s’inspirer pour ses autres réseaux autonomes.

Ce qu’il faut savoir

  • Inukjuak deviendra en novembre le premier village inuit du Québec alimenté en énergie renouvelable avec l’entrée en service d’une centrale hydroélectrique.
  • La centrale permettra aussi aux ménages de troquer leur chauffage au mazout pour du chauffage électrique.
  • Fruit d’un partenariat entre la communauté et l’entreprise Innergex, la centrale générera des retombées locales de 2,25 millions de dollars par année.

La centrale au fil de l’eau Innavik, construite sur la rivière Inukjuak, a commencé à produire ses premiers électrons à la mi-septembre et doit entrer en phase de pleine production en novembre, remplaçant ainsi la centrale au diesel du village de 2000 âmes situé sur la rive de la baie d’Hudson, dans le nord du Québec.

« On est très fiers de s’être rendus là », a déclaré dans un entretien avec La Presse Eric Atagotaaluk, directeur de Pituvik Sarvaq Énergie, l’organisme local qui s’est associé à l’entreprise québécoise Innergex pour mener à terme ce projet de 130 millions de dollars, qui avait commencé à germer il y a une vingtaine d’années.

La centrale Innavik, la centrale hydroélectrique la plus septentrionale du Québec, tire profit d’une chute naturelle d’une dizaine de mètres sur la rivière Inukjuak, rehaussée d’environ cinq mètres par un seuil artificiel, question de s’assurer d’avoir de l’eau libre sous l’épaisse couche de glace qui se forme l’hiver.

« On ne fera pas varier le niveau selon la production », explique le président et chef de la direction d’Innergex, Michel Letellier. « On prend le débit naturel de la rivière, pas plus. »

La période de rodage en cours permet de faire les derniers ajustements pour « s’assurer que la centrale ne crée pas de petites variations de tension sur le réseau », explique Michel Letellier, précisant que cet aspect est particulièrement important dans le cas d’un réseau autonome, approvisionné par une seule source de production.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le président et chef de la direction d’Innergex, Michel Letellier

On a encore besoin d’une béquille, mais on devrait se libérer de cette béquille-là très bientôt.

Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex

Chauffage électrique

En plus de fournir de l’énergie renouvelable aux Inukjuamiuq, les habitants d’Inukjuak, la centrale Innavik, d’une puissance installée de 8 mégawatts (MW), leur permettra d’utiliser un chauffe-eau et un système de chauffage électriques plutôt que des appareils fonctionnant aux combustibles fossiles, comme c’était le cas jusqu’à maintenant.

Hydro-Québec a d’ailleurs obtenu de la Régie de l’énergie la permission de ne pas facturer à ses clients d’Inukjuak le tarif dissuasif en vigueur au nord du 53e parallèle – ce tarif, qui s’applique au-delà des 40 premiers kilowattheures (kWh) quotidiens, est de 44,4 ¢/kWh, contre 10 ¢/kWh au sud du 53e parallèle ; il a justement pour objectif de décourager le chauffage électrique, qui est d’une très faible efficacité énergétique lorsque l’électricité utilisée est produite à partir d’énergies fossiles.

Un système biénergie, contrôlé à partir de la centrale Innavik, permettra néanmoins le recours au chauffage au mazout lors de très grands froids, si la demande en électricité excède la capacité de production.

« Les clients vont voir leur facture énergétique diminuer », indique Patrick Labbé, chef de l’innovation, du support technique et des projets de conversion chez Hydro-Québec, qui parle d’un projet « gagnant-gagnant pour l’ensemble des parties prenantes ».

La société d’État verra aussi sa facture diminuer en achetant de l’hydroélectricité plutôt que du diesel, prévoyant des économies de 20 % – elle maintiendra néanmoins une centrale au diesel de 5 MW comme solution d’appoint, en cas de panne de la centrale Innavik.

Hydro-Québec s’est engagée à acheter pendant 40 ans l’électricité produite par la centrale à la coentreprise formée d’Innergex et de Pituvik Sarvaq Énergie, à un prix de 39 ¢/kWh.

« On n’aurait pas pu faire ce projet-là sans contrat à long terme d’achat d’électricité », indique Michel Letellier, soulignant l’importance de ce détail.

Retombées locales

La centrale Innavik, qui donnera de l’emploi à trois personnes du village, générera des revenus de 2,25 millions de dollars par année, pendant 40 ans, pour la communauté d’Inukjuak.

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Le directeur de Pituvik Sarvaq Énergie, Eric Atagotaaluk

C’est très important pour un petit village de près de 2000 habitants.

Eric Atagotaaluk, directeur de Pituvik Sarvaq Énergie, au sujet des retombées économiques

Eric Atagotaaluk souligne que son organisation étant à but non lucratif, ces sommes seront entièrement réinvesties dans la communauté.

Ces fonds serviront dans trois domaines spécifiques, explique-t-il : le développement économique, l’éducation et la formation en fonction des besoins de la communauté, ainsi que des programmes sociaux et traditionnels.

Cet aspect fait notamment la fierté de Michel Letellier, qui y voit un élément important du développement durable : « On doit faire un rendement, mais pas au détriment [des gens et de l’environnement] », dit-il.

Un modèle pour Hydro-Québec

Pour Hydro-Québec, qui ambitionne d’alimenter ses 22 réseaux autonomes avec au moins 80 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, Inukjuak est un modèle qui sera en partie répliqué ailleurs.

Ces réseaux alimentés aux énergies fossiles représentent moins de 1 % de la production de la société d’État, mais sont responsables de 43 % de ses émissions de gaz à effet de serre.

Peu de communautés isolées sont situées à proximité d’une rivière ayant un débit suffisant durant toute l’année pour permettre l’aménagement d’une centrale au fil de l’eau comme à Inukjuak, mais le modèle de partenariat avec les communautés, lui, sera repris, indique Patrick Labbé.

« Ce qui semble être le plus probant, c’est le jumelage diesel-éolien avec système de stockage, pour maximiser l’intégration d’énergie renouvelable », afin d’accumuler l’énergie produite hors des périodes de pointe, explique-t-il, citant l’exemple du microréseau testé par Hydro-Québec à Lac-Mégantic.

Lisez « Microréseau électrique : Hydro-Québec teste l’avenir à Lac-Mégantic »

C’est d’ailleurs ce qui est prévu pour la centrale hybride qui doit desservir le village cri de Whapmagoostui et le village inuit voisin de Kuujjuaraapik, dont le contrat d’approvisionnement avec Hydro-Québec a été approuvé cette année, et des projets sont à l’étude dans les 12 autres villages inuit du Nunavik.

L’ajout de quatre éoliennes totalisant 16,8 MW et d’un système de stockage d’énergie de 10 MW aux Îles-de-la-Madeleine a aussi été confirmé par la société d’État en mars dernier.

Dans la communauté atikamekw d’Opitciwan, c’est une centrale de cogénération à la biomasse forestière qui sera installée.

Eric Atagotaaluk regarde ces annonces avec une certaine fierté : « Notre projet a initié un mouvement dans notre région pour considérer l’énergie renouvelable. »

En savoir plus
  • 80 %
    Réduction anticipée de la consommation d’hydrocarbures pour la production d’électricité à Inukjuak
    source : Hydro-Québec
  • 700 000 tonnes
    Réduction anticipée sur 40 ans des émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité à Inukjuak
    source : Hydro-Québec
    74 millions de tonnes
    Émissions de GES du Québec en 2020
    source : ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec