Les microréseaux permettront de diminuer le recours aux centrales thermiques. D’atténuer les pointes de consommation. D’éviter la construction de nouvelles infrastructures de transport. Hydro-Québec inaugurera ce mardi son tout premier, à Lac-Mégantic, qui fera office de laboratoire. La Presse l’a visité récemment.

À quelques reprises au cours des dernières semaines, Hydro-Québec a débranché une partie du centre-ville de Lac-Mégantic de son réseau.

Littéralement.

Avec un gros disjoncteur installé derrière l’édifice de la municipalité régionale de comté (MRC).

Mais les usagers concernés n’ont rien perçu, car durant ces quelques heures, les bâtiments du secteur étaient alimentés en électricité par des panneaux solaires et des batteries géantes.

C’est là le tout premier « microréseau » de la société d’État.

« C’est comme une île au milieu de la mer, isolée du reste du réseau électrique », illustre l’ingénieur Simone Soldati, chef de projets chez Hydro-Québec, qui a montré les installations à La Presse, en mai.

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Simone Soldati, ingénieur chargé de projets pour Hydro-Québec

Sans lien avec l’extérieur, il faut donc « amener la production de l’énergie à l’intérieur ou à proximité », poursuit-il.

C’est comme ramener les centrales localement, là où la consommation se fait.

Simone Soldati, ingénieur d’Hydro-Québec

De la tragédie à l’innovation

La tragédie ferroviaire, survenue le 6 juillet 2013, a offert l’occasion d’implanter un microréseau électrique à Lac-Mégantic, et d’en faire un laboratoire grandeur nature.

Lors de la reconstruction du centre-ville, le réseau électrique a aussi été refait, offrant ainsi une boucle facilement « îlotable », qui peut être séparée du reste du réseau, explique M. Soldati.

L’idée de faire un microréseau a germé il y a un peu plus de trois ans dans l’esprit de la municipalité, qui a approché Hydro-Québec.

Des panneaux solaires ont été installés sur le toit des bâtiments nouvellement construits, ainsi que sur celui du centre sportif, situé juste en dehors du « périmètre îlotable », d’où on peut apercevoir l’ensemble du secteur et le lac en arrière-plan.

  • Panneaux solaires sur le toit du centre sportif de Lac-Mégantic

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    Panneaux solaires sur le toit du centre sportif de Lac-Mégantic

  • L’ingénieur Simone Soldati explique le fonctionnement du microréseau à côté des panneaux solaires sur le toit du centre sportif.

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    L’ingénieur Simone Soldati explique le fonctionnement du microréseau à côté des panneaux solaires sur le toit du centre sportif.

  • L’ondulateur convertit le courant continu (DC) des panneaux en courant alternatif (AC), utilisable dans le réseau.

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    L’ondulateur convertit le courant continu (DC) des panneaux en courant alternatif (AC), utilisable dans le réseau.

  • L’énergie est emmagasinée dans des unités de stockage à côté du centre sportif, prête à être envoyée dans le microréseau lorsque nécessaire.

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    L’énergie est emmagasinée dans des unités de stockage à côté du centre sportif, prête à être envoyée dans le microréseau lorsque nécessaire.

  • Les bâtiments du nouveau centre-ville de Lac-Mégantic sont connectés au microréseau grâce à une boucle réseau facilement « îlotable »

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    Les bâtiments du nouveau centre-ville de Lac-Mégantic sont connectés au microréseau grâce à une boucle réseau facilement « îlotable »

  • Des piles d’accumulation énergétique au sous-sol d’un bâtiment du centre-ville connecté au micro-réseau

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    Des piles d’accumulation énergétique au sous-sol d’un bâtiment du centre-ville connecté au micro-réseau

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D’autres seront ajoutés sur la caserne de pompiers à être construite dans le périmètre, si bien que le microréseau de Lac-Mégantic en comptera à terme 2200, totalisant 800 kilowatts de puissance.

La clef : le stockage

Le stockage est un élément fondamental pour compenser le caractère intermittent des sources d’énergie utilisées sur un microréseau.

Celui de Lac-Mégantic compte deux unités de stockage d’une capacité de 700 kWh qui peuvent être rechargées par le réseau principal ou par les panneaux solaires lorsque la totalité de leur production n’est pas utilisée.

Lors d’une panne ou d’un débranchement planifié, l’énergie emmagasinée dans les unités de stockage est envoyée dans le microréseau, au même titre que l’énergie produite par les panneaux solaires.

Ces échanges complexes sont gérés par un système de commande centralisé.

Consommer moins d’énergies fossiles

Hydro-Québec voit dans les microréseaux une façon de diminuer le recours aux énergies fossiles pour ses 22 réseaux autonomes, comme ceux des villages du Grand Nord ou celui des Îles-de-la-Madeleine.

C’est pourquoi celui de Lac-Mégantic a été doté d’une génératrice, pour pouvoir tester dans des conditions réelles « le couplage » des énergies fossiles et renouvelables.

Car les centrales au diesel demeureront une composante des réseaux autonomes, pour sécuriser l’approvisionnement, « mais l’objectif, c’est de les utiliser le moins possible », explique Simone Soldati.

On va carrément transposer [dans les réseaux autonomes] ce qu’on apprend ici.

Simone Soldati, ingénieur d’Hydro-Québec

La société d’État diminuera ainsi ses émissions de gaz à effet de serre, bien sûr, mais aussi ses frais d’exploitation, étant donné l’abordabilité croissante des énergies renouvelables.

Et contrairement aux réseaux autonomes éloignés du siège social d’Hydro-Québec, Lac-Mégantic est accessible en quelques heures de route, et il est facile d’y acheminer de l’équipement et des ressources en cas de besoin.

Aplatir la courbe de la consommation

Le concept de microréseau peut aussi bénéficier au réseau principal d’Hydro-Québec, en permettant l’« écrêtage » des pointes de consommation hivernales, indique Simone Soldati.

Le recours à des sources d’énergie locales et à de l’énergie stockée sur un microréseau lorsque la demande en électricité est très forte permet d’aplatir la courbe de consommation du réseau principal, illustre-t-il en faisant référence à une notion de santé publique aujourd’hui bien connue.

Hydro-Québec prévoit aussi avoir recours aux microréseaux dans les régions à fort taux de pannes, ou encore pour celles où la demande excède la capacité des lignes de transport.

« Ça peut être une solution plutôt que construire de nouvelles lignes », affirme M. Soldati, qui prévoit que les microréseaux seront nombreux au Québec d’ici 2050.

L’exportation des surplus d’Hydro-Québec sur les marchés nord-américains promet aussi de rehausser l’intérêt pour les microréseaux, ajoute Patrick Martineau, ingénieur de projet chez Hydro-Québec.

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Patrick Martineau, ingénieur de projet chez Hydro-Québec

Même si ces marchés sont « complémentaires » avec celui du Québec — la demande y est plus forte quand elle est ici plus basse, par exemple —, la transition énergétique modifiera la demande, anticipe-t-il.

« Raccorder des véhicules électriques, illustre-t-il, ça crée des défis, mais aussi des occasions. »

Symbole fort pour Lac-Mégantic

Avec ce tout premier microréseau québécois, Lac-Mégantic veut se positionner comme un acteur de la transition énergétique, un symbole fort pour cette ville dont l’histoire a été tragiquement marquée par les énergies fossiles. « Ça va nous mettre sur la map pour autre chose que la tragédie », lance Fabienne Joly, responsable du développement en transition énergétique à la Ville. « Là, on passe dans la phase concrète, les apprentissages vont commencer », s’enthousiasme-t-elle, évoquant l’intérêt d’universités et d’entreprises évoluant dans le contrôle d’énergie des bâtiments. Le microréseau a fait germer bien des idées, comme celle d’une hydrolienne sur la rivière Chaudière, qui prend sa source dans le lac Mégantic, ou encore d’un approvisionnement énergétique à partir de la biomasse, dans le parc industriel, où l’industrie de la transformation du bois domine. Mais il a été le déclencheur d’une stratégie qui dépasse l’énergie et touche le transport actif comme la gestion des matières résiduelles, explique Mme Joly : « La Ville souhaite être écoresponsable et exemplaire. »