Sans le vouloir, les milléniaux ont tenu occupés un grand nombre d’experts en marketing aux quatre coins du monde depuis deux décennies. On les a sondés, décrits, scrutés, analysés, étiquetés comme aucune autre génération auparavant. Et le bon peuple en a rajouté une couche avec ses critiques, ses généralisations et ses caricatures.

Et voilà que cette génération de jeunes… n’est plus si jeune.

Les plus âgés de la cohorte ont dépassé le cap des 40 ans. Ils ont des cheveux gris, des enfants, une maison et une feuille de route professionnelle assez étoffée pour accéder aux postes de direction.

D’ailleurs, les élections municipales de 2021 ont marqué l’imagination en permettant à 109 milléniaux d’être élus maires. Trois des plus grandes villes de la province – Laval, Longueuil et Sherbrooke – et quatre ministères sont actuellement dirigés par des personnes qui n’étaient pas nées quand Diana et le prince Charles se sont mariés.

Dans l’univers du sport, dans celui des arts, tout comme en affaires, les jeunes nés entre 1980 et 1995 prennent les commandes. Avec leurs valeurs, leur vision et une longue liste d’applications dans leur iPhone, ils changent les choses.

Ce constat est à l’origine du grand dossier que vous pourrez lire aujourd’hui et demain dans toutes les sections de La Presse. Vous y découvrirez des jeunes impressionnants, pleins de convictions et d’énergie.

Malgré tout ce qu’on a pu dire sur les milléniaux, aussi appelés Y, il faut voir leur accession à des postes décisionnels comme une source d’espoir. Avec leurs idéaux, leurs compétences, leurs diplômes, leurs qualités et leurs priorités, ils sont en mesure de provoquer des améliorations dont nous bénéficierons tous.

Prenez l’aisance des jeunes avec les technologies. Qu’ils se dépêchent de nous en faire profiter en facilitant la prise de rendez-vous et les réservations en quelques clics, en permettant les consultations en tous genres par vidéoconférence, en rendant plus transparentes les listes d’attente, en simplifiant l’échange d’information, en générant automatiquement des statistiques et des données utiles. Les histoires de télécopies égarées⁠1 dans les hôpitaux devraient être chose du passé, tous comme les dossiers de cour uniquement sur papier.

Si un jeune étudiant a été capable en 90 jours, tout seul chez lui, de créer une application attendue depuis des années pour recharger les cartes OPUS avec un téléphone⁠2, imaginez ce qu’une bande de jeunes employés motivés pourrait accomplir si on leur donnait le défi de nous faciliter la vie.

En toute logique, le résultat ne devrait pas trop tarder. Car les milléniaux ont la réputation de tout vouloir, tout de suite. On dit qu’ils n’aiment pas attendre. C’est tant mieux !

Une fois aux commandes, cela pourrait leur permettre de trouver le moyen de provoquer des changements et des améliorations plus rapidement que par le passé. Ça ne peut pas toujours prendre 15 ans pour ajouter une voie réservée pour les autobus sur un boulevard⁠3 ou 19 ans pour mettre en place un vrai guichet unique et efficace pour les CPE⁠4.

L’impatience des Y, alimentée quotidiennement par l’internet ultra haute vitesse, est même nécessaire quand il s’agit de trouver des solutions au plus grand défi de l’humanité : les changements climatiques.

Tous les experts s’entendent pour dire qu’on n’a plus le luxe d’attendre avant d’agir. « L’enjeu de l’environnement n’était pas assez concret avant. Mais là, on reçoit des alertes toutes les deux semaines pour des tornades ! C’est beaucoup de pression, mais on n’a pas le choix d’améliorer la société, sinon on va tous brûler », me dit d’ailleurs Irdens Exantus, un acteur de 29 ans qui pose un regard réfléchi sur la société, alimenté par son travail dans des centres jeunesse et ses origines haïtiennes.

Ses inquiétudes sont assez généralisées. Une majorité (60 %) de milléniaux est stressée par les changements climatiques, une hausse de 8 points en seulement un an, selon une récente étude Léger. Ce n’est pas pour rien qu’on entend autant parler d’écoanxiété…

« J’aimerais que les élus de mon âge fassent le lien entre la crise économique, l’inflation, les inégalités et la crise écologique. C’est le plus important. Pour moi, c’est la même crise, c’est une crise de surproductivité, de capitalisme à outrance », m’a confié Nicolas Lemieux, un intervenant communautaire de 30 ans qui travaille dans Pointe-Saint-Charles et qui s’apprête à obtenir une maîtrise en sciences politiques.

Changer la société en mieux

On dit des milléniaux qu’ils performent mieux dans la collaboration, loin de la hiérarchie protocolaire. Puisqu’ils ont grandi dans un monde égalitaire, ils valorisent la compétence plutôt que les titres. « Pour moi, un humain, c’est un humain », s’anime Catherine Dubé, une cheffe d’entreprise de 32 ans qui élève deux enfants et qui siège au conseil d’administration d’Investissement Québec.

L’âge et l’ancienneté d’une personne au sein d’une organisation ne devraient pas être des facteurs déterminants pour établir la crédibilité ou la légitimité de ses propos et de ses questions, explique-t-elle. Tous les points de vue devraient être égaux.

Ce qu’elle a baptisé « les votes multiples liés à l’expérience » n’a carrément plus lieu d’être, tranche celle qui ne s’offusque pas d’être parfois mise au défi par des jeunes qu’elle a embauchés trois mois plus tôt. « Il faut aussi aplanir les organisations, donner de l’autonomie, responsabiliser les personnes. »

Je sens que cette vision ébranlera, voire choquera, bon nombre de quinquagénaires et de sexagénaires qui ont trimé pour acquérir de l’expérience et gravir les échelons. Mais au lieu d’y voir un inquiétant rejet des conventions et des structures établies, je préfère croire que cela va favoriser des prises de décisions et des débats plus productifs.

Seul l’avenir dira si j’affiche un excès d’optimisme. Mais on a tellement vu de réunions ankylosées par le décorum ne mener à rien qu’on ne que peut qu’espérer mieux. On doit rêver mieux, comme le chante Daniel Bélanger. Et ça ne peut certainement pas nuire de penser différemment pour régler de nouveaux types de problèmes.

J’ai aussi espoir que les milléniaux amélioreront notre rapport au travail, longtemps marqué par un déséquilibre parfois malsain à l’origine de divorces, d’épuisements professionnels, de problèmes de santé mentale, d’enfants se sentant négligés et quoi encore.

Ils n’auront pas vraiment le choix de le faire. Car les jeunes de la génération Z (née de 1996 à 2010) profitent de la pénurie de main-d’œuvre pour imposer leurs valeurs, notamment en matière de conciliation travail-famille-loisirs. La lourde et périlleuse responsabilité de redéfinir l’organisation et la place du travail reposera donc, de plus en plus, sur les épaules de milléniaux.

Le mouvement est déjà entamé. Les initiatives positives se multiplient. Des organisations offrent des incitations pour faire du sport, cesser de fumer, utiliser les transports en commun, consommer des légumes bios et locaux, proposent des formations sur l’anxiété. Des comportements bénéfiques pour toute la société.

Je compte aussi sur les milléniaux pour implanter des politiques favorisant l’équité et le développement professionnel des femmes, des immigrants et des minorités dont on parle peu, comme les personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme. Et pour que les besoins des jeunes parents débordés, des femmes qui traversent la ménopause et des sexagénaires qui veulent ralentir la cadence puissent tous être entendus. Cela serait cohérent avec leurs discours sur l’inclusion et la diversité, non ?

C’est une question de santé mentale, après tout. Et pour les trentenaires, ce n’est plus un tabou. « On peut parler des antidépresseurs qu’on prend comme si c’était des Tylenol, sans gêne », confirme Irdens Exantus.

« Moins de biens, plus de liens »

Les milléniaux ont été accusés d’être scotchés à leur téléphone, préférant les réseaux sociaux aux rencontres en chair et en os. Pourtant, à Moffet au Témiscamingue, le maire Alexandre Binette, 40 ans, multiplie les initiatives « pour que le monde trippe » dans le microvillage de 210 âmes. Cela passe souvent par des rassemblements, que ce soit dans la cuisine communautaire, dans le parc transformé ou dans un nouveau festival.

« Moins de biens, plus de liens », résume le diplômé en génie de l’ETS. Sa stratégie : miser sur une foule de petites initiatives qui ne coûtent pas grand-chose, mais qui peuvent faire une différence dans la qualité de vie, comme l’a raconté Radio-Canada en parlant de « miracle » 5.

Alors que les effets néfastes de l’individualisme sont décriés, les millénaux renverseront-ils la tendance grâce à leur inépuisable besoin d’avoir du plaisir ?

Bien sûr, il est toujours délicat de généraliser, de coller des étiquettes à des générations entières. Certains Y ne se reconnaissent nullement dans les descriptions que les sondeurs en font, d’autres en sont la parfaite incarnation. Mais chose certaine, la jeunesse vient avec son lot d’idéaux et la volonté de changer le monde. Et avec tous les défis auxquels nous faisons face, nous avons besoin que des milléniaux brassent la cage et pensent en dehors de la boîte pour améliorer notre monde.

Ils ont tout ce qu’il faut pour agir, alors j’ai envie qu’on leur crie : allez-y, on compte sur vous !

1. Lisez le texte « Dans la maison qui rend fou » 2. Lisez le texte « Recharge de la carte OPUS : un étudiant dame le pion à l’ARTM » 3. Lisez le texte « SRB Pie-IX : le symbole de notre inaction » 4. Lisez le texte « Places en garderie : un “vrai” guichet unique dans un an » 5. Lisez le texte « Le miracle de Moffet, le petit village québécois revitalisé avec audace »
En savoir plus
  • 2029
    Dans 6 ans, le Canada comptera plus de milléniaux (8 616 900) que de baby-boomers (8 442 500). Les milléniaux sont déjà plus nombreux que les baby-boomers à Montréal, Toronto, Vancouver et Ottawa-Gatineau depuis 2021.
    Source : Statistique Canada
    57 %
    Proportion des milléniaux propriétaires d’une résidence au Canada.
    Source : Royal Lepage
  • 39 %
    Proportion des milléniaux qui croient « faire partie de la dernière génération à pouvoir vivre confortablement »
    Source : Sondage Léger