C’est un terme relativement nouveau, en phase avec l’époque numérique : le cyberharcèlement.

Et c’est exactement ce que vit Laurence Gratton, depuis beaucoup trop longtemps.

Je vous ai parlé de Laurence lors de l’automne 20221. Depuis des années, cette jeune femme vit du cyberharcèlement qui lui pourrit la vie. J’ai raconté, à l’époque, comment la police de Terrebonne avait reçu Laurence tout croche quand elle était allée porter plainte.

Un an s’est écoulé et le harceleur numérique de Laurence ne s’est jamais calmé le pompon, bien au contraire.

Le calvaire de Laurence Gratton a commencé en 2015.

Avec d’autres étudiantes de l’Université de Montréal, elle a commencé à recevoir des messages haineux et menaçants à répétition, toujours lancés de faux comptes de réseaux sociaux.

Au fil des mois, Laurence et ses camarades ont commencé à faire des liens et elles ont acquis la certitude que leur harceleur était… dans leur propre classe.

À force d’insister, la police de Montréal a accepté de lancer une enquête. Cette enquête a débouché sur de multiples accusations de harcèlement, de menaces de mort, de menaces corporelles contre un camarade de classe.

Laurence Gratton a été ciblée comme ses camarades. Mais la police de Montréal a fait enquête concernant quatre plaignantes. Laurence n’en faisait pas partie.

En novembre 2017, Éric Boisvert a plaidé coupable à plusieurs accusations de menaces de mort et de harcèlement. Il a reçu sa sentence en 2019.

En 2015 et 2016, a révélé l’enquête, Éric Boisvert a commis du cyberharcèlement contre ses camarades de classe. Virtuellement, il a souhaité la mort et le viol à certaines de ses cibles à partir de faux comptes. Dans le réel, il a craché sur l’une d’elles dans le métro.

Avant son procès, Éric Boisvert n’a pas respecté ses conditions de mise en liberté à deux reprises, comme celle de ne pas se servir de l’internet : il s’est servi des réseaux sociaux pour harceler ses victimes, malgré une interdiction de contact.

Pour tous ces crimes, Éric Boisvert a reçu une absolution inconditionnelle de la juge Louise Villemure.

Il a été condamné à 18 mois de probation. La juge a considéré que l’autisme de Boisvert était un facteur atténuant.

Après la sentence de Boisvert, Laurence a eu la paix pendant des années. Le cyberharcèlement a cessé.

Puis, l’an dernier, ce cyberharcèlement a repris de plus belle. Sur le même modus operandi que le cyberharcèlement que Laurence Gratton avait subi quand elle était à l’Université de Montréal.

C’est ce que je vous racontais il y a près d’un an.

Pourquoi le cyberharcèlement a-t-il repris en 2022 ?

Laurence Gratton est convaincue que sa participation au documentaire2 Je vous salue salope de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist n’est pas étranger à la reprise des hostilités la ciblant. Chronologiquement, ça coïncide.

Ce film sur les violences numériques vécues par les femmes relate le calvaire de Laurence et de ses camarades de l’Université de Montréal. Éric Boisvert n’y était pas nommé.

Mais l’an dernier, quand je vous ai parlé du calvaire de Laurence qui recommençait, un message menaçant évoquait nommément sa participation au documentaire Je vous salue salope.

Depuis ma chronique, le cyberharcèlement n’a pas cessé. Laurence Gratton reçoit des messages menaçants à répétition. Toujours selon le modus operandi de 2015-2016, le cyberharceleur de Laurence se crée aussi des comptes au nom de membres de sa famille : il a usurpé l’identité de la sœur de Laurence, par exemple, pour inviter d’autres fétichistes à la contacter pour des services sexuels…

Le tourmenteur de Laurence lui envoie aussi des demandes d’amitié à partir de faux comptes. Une des plus récentes demandes est venue d’un compte créé au nom du tueur de Polytechnique, avec sa photo.

Bref, c’est toujours les tripes nouées que Laurence s’aventure sur l’internet.

Laurence est en contact avec la police de Terrebonne. L’enquêteur au dossier « est bien gentil », dit-elle, il lui rend toujours ses appels. Mais le harcèlement continue : on dirait que pour le cyberharceleur de Laurence, l’impunité est totale.

Combien d’enquêteurs en cybercriminalité compte-t-on à la Sûreté du Québec (SQ) ? Autour de 60.

Combien d’enquêteurs en cybercriminalité compte-t-on au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ? Une douzaine.

Combien d’enquêteurs en cybercriminalité compte-t-on à la police de Terrebonne ? Je l’ignore : la police de Terrebonne n’a pas donné suite à mes questions. Je soupçonne que c’est près de… zéro.

Je ne blâme pas la police de Terrebonne de ne pas avoir d’unité consacrée entièrement à la cybercriminalité. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un corps de police du 450 soit aussi bien pourvu de ressources en certaines matières – comme la cybercriminalité – que ce qu’on retrouve à la SQ et au SPVM.

Je dis juste deux choses…

Un, le cas de Laurence Gratton montre bien la nature complexe du cyberharcèlement en 2023. Il faut des ressources et de l’expertise de pointe pour enquêter sur ces cas qui causent aux victimes des dommages qui n’ont rien de virtuel.

Deux, peut-être que le cas de Laurence Gratton dépasse la compétence du corps de police de Terrebonne et que son dossier devrait être transféré à un corps de police plus habitué à enquêter sur de telles saloperies.

1. Lisez la chronique « Achetez une caméra de surveillance, Madame » 2. Lisez la critique « Je vous salue salope : convaincant appel à la mobilisation »