Chaque semaine de l’été, nos journalistes partent à la rencontre de communautés québécoises d’adoption. Premier arrêt : une visite au sein de la communauté latino.

Avez-vous mis les pieds récemment dans la Plaza Saint-Hubert ? L’odeur des tacos et des churros emplit l’air et l’espagnol est plus courant que le français. « Ici, affirme Cecilia Escamilla, c’est le quartier latino ! »

Directrice du Centre d’aide aux familles latino-américaines (CAFLA), un organisme communautaire qu’elle a fondé il y a 20 ans, Mme Escamilla a vu la Plaza Saint-Hubert se transformer au fil du temps.

« J’ai choisi ce quartier parce que je savais qu’il y avait un grand nombre de communautés latinos ici, explique-t-elle. Mais c’est devenu 10 fois plus gros en 20 ans. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Cecilia Escamilla dirige le CAFLA, un organisme qui vient en aide aux membres de la communauté latino-américaine de Montréal.

Le Supermarché Sabor Latino est une des adresses les plus connues et les plus fréquentées par la communauté latino de Montréal. Ses allées encombrées débordent de produits importés des quatre coins de l’Amérique latine : thé à l’aloès et au cactus, à l’ananas, tortillas amarilla, blanca, azul, salsas, boisson péruvienne, gâteau colombien...

C’est bruyant et ça sent bon. Les plats cuisinés sur place sont servis dans un espace aménagé à l’avant.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Le Sabor Latino est à la fois un supermarché et un restaurant.

C’est là qu’on trouve des affaires de chez nous. Vous pouvez vivre n’importe où à Montréal, mais vous allez venir à Sabor Latino !

Cecilia Escamilla, qui dirige le CAFLA

200 % d’augmentation

De 2001 à 2021, la population d’origine latino-américaine a triplé, au Québec, pour atteindre 173 000 personnes, selon les plus récentes données de Statistique Canada. C’est beaucoup plus que la population totale, qui a enregistré une croissance de 17 % au cours de la même période.

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Les commerçants de la Plaza Saint-Hubert ont envahi la rue durant le festival PlazaPalooza.

C’est surtout à Montréal et en banlieue que ces immigrants établissent leurs quartiers. Ils sont particulièrement nombreux dans Saint-Michel, dans Villeray, dans Rosemont–La Petite-Patrie, dans Côte-des-Neiges et dans le Sud-Ouest, mais aussi à L’Île-des-Sœurs, à Laval, à Longueuil et à Brossard.

La Plaza Saint-Hubert, c’est leur point de chute. L’endroit où ils se sentent comme chez eux. Tant les immigrants de longue date que les nouveaux arrivants, demandeurs d’asile ou sans-papiers.

Les samedis, en face de la piscine Saint-Denis, entre les rues Bélanger et Jean-Talon, on peut les voir faire la fête. Tout le monde vient ici pour socialiser.

Tacos à volonté

« Récemment, j’ai découvert la Toxica, un restaurant de tacos au nord de Jean-Talon », dit Saul Polo, ancien député libéral de Laval-des-Rapides, habitué de la Plaza.

La propriétaire, Rosa Castellanos, a 25 ans. Elle a ouvert son restaurant mexicain en pleine pandémie après s’être fait connaître sur les réseaux sociaux. « J’adore les tacos, dit-elle. J’en ai fait pour moi et je les ai publiés. Les gens me demandaient où je les avais achetés. J’ai dit : c’est moi qui les ai faits. Ça a commencé comme ça. Ensuite, un client m’a proposé de m’associer pour ouvrir un restaurant. On a ouvert dans la Plaza en 2021. »

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Rosa Castellanos a ouvert le restaurant La Toxica dans la rue Saint-Hubert.

Un an plus tard, elle se séparait de son associé – « c’est moi qui faisais tout le boulot ! » – et déménageait dans un autre local rue Saint-Hubert, juste au nord de Jean-Talon, où les nouveaux commerces tenus par des Québécois venus d’Amérique latine se multiplient.

Ça marche ? « Super bien ! » Tous les jours, vers 16 h, une file se forme devant la porte. La salle compte 50 places. Avec la terrasse, ça fait près de 80.

  • On peut manger des plats traditionnels latinos dans la Plaza Saint-Hubert, servis dans la rue.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

    On peut manger des plats traditionnels latinos dans la Plaza Saint-Hubert, servis dans la rue.

  • La Place Juarez, située à côté de la Piscine Saint-Denis, nous transporte directement au Mexique.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

    La Place Juarez, située à côté de la Piscine Saint-Denis, nous transporte directement au Mexique.

  • Durant le festival PlazaPalooza, les commerçants ont sorti des tables dans la rue.

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    Durant le festival PlazaPalooza, les commerçants ont sorti des tables dans la rue.

  • Un commerçant offre des boissons aux passants, dans la Plaza Saint-Hubert, pendant le festival PlazaPalooza.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

    Un commerçant offre des boissons aux passants, dans la Plaza Saint-Hubert, pendant le festival PlazaPalooza.

  • Le Sabor Latino prépare des mets latinos qu’on peut acheter à apporter ou pour consommer sur place.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

    Le Sabor Latino prépare des mets latinos qu’on peut acheter à apporter ou pour consommer sur place.

  • Felicia Cerrano, originaire du Pérou, travaille comme coiffeuse depuis 28 ans dans la rue Saint-Hubert.

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    Felicia Cerrano, originaire du Pérou, travaille comme coiffeuse depuis 28 ans dans la rue Saint-Hubert.

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Des prix accessibles

« On aime avoir des prix accessibles, explique Rosa Castellanos. Mardi, j’ai des tacos à volonté pour 20 $. Mercredi, des petits tacos à 1,50 $. Jeudi, c’est les drinks à 5 $. On veut que ce soit abordable pour tout le monde. »

Rosa Castellanos parle espagnol, français et anglais. Elle est arrivée au Québec à 10 ans avec sa sœur et sa mère, qui a demandé l’asile. « J’ai commencé à travailler à 14 ans, précise-t-elle. Ma mère travaillait dans une entreprise d’équipement de premiers soins. Je mettais les petits gants dans des sacs en plastique. Ils me donnaient 5 cents par sac. »

Après deux ans en technique juridique, elle a travaillé comme agente de liaison pour une entreprise de recrutement de travailleurs agricoles, puis deux ans comme agente de bord pour Air Transat. Aujourd’hui, elle veut lancer une chaîne de restos. Un deuxième La Toxica ouvrira sous peu dans le Quartier chinois.

Réparer des téléphones

Erika Duque et son mari, David Farfan, tous deux d’origine colombienne, sont aussi en « phase d’expansion ».

Il y a 12 ans, ils ont ouvert un petit magasin au deuxième étage d’un commerce de la Plaza Saint-Hubert, Latino Systèmes. Deux ans plus tard, ils déménageaient au rez-de-chaussée. Et depuis un an, ils occupent aussi le local voisin.

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Originaires de Colombie, David Farfan et sa femme Erika Duque sont propriétaires du commerce Latino Systèmes.

« Mon mari a eu l’idée très, très folle d’avoir une petite business où il pourrait accueillir les gens dans leur langue », raconte Mme Duque, dans un bureau aménagé à l’arrière de sa boutique. « Il a décidé d’ouvrir un commerce pour aider les personnes qui n’ont pas les moyens, quand un appareil brise, d’en acheter un nouveau. Il réparait des téléphones. En Colombie, c’est comme ça. Si un téléphone brise, on ne va pas en acheter un autre. On le répare avant. »

Le bouche-à-oreille fonctionne très bien, confie-t-elle.

Les gens viennent nous voir parce qu’ils savent qu’on répare les appareils, qu’on vend des téléphones usagés en bon état. On les aide à trouver d’autres services. Depuis un an, on offre aussi un service de messagerie : Fedex, UPS, DHL. Nos clients sont surtout latino-américains.

Erika Duque, copropriétaire de Latino Systèmes

« C’est bon pour les affaires ! »

Mme Durque constate aussi que la Plaza Saint-Hubert se transforme. « Il y a 10 ans, la Plaza, ce n’était pas une rue pour aller manger, se souvient-elle. Il y avait des boutiques de robes de mariée, mais pas de bons restaurants. Ça change. La rue s’embellit. »

Le directeur de la Société de développement commercial (SDC), Mike Parente, confirme l’arrivée de nouvelles enseignes dans la Plaza Saint-Hubert, qui compte plus de 400 commerces et entreprises de services, entre les rues Bellechasse et Jean-Talon. « La rue ressemble à ce qu’on peut voir dans certains quartiers de New York, fait-il remarquer. On est une des rues commerciales les plus denses : 85 % de nos commerces sont des commerces indépendants. »

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John Reinoso est propriétaire du salon de barbier et studio de tatouage Coupe Fresh, rue Saint-Hubert.

Et de plus en plus d’entre eux sont latinos, comme ce salon de barbier et studio de tatouage Coupe Fresh, tenu par John Reinoso, ou du Café latino comunitario, où on peut manger des tacos pour 6 $ le midi, et du salon de coiffure de Felicia Cerrano. « Tu peux prendre des photos », lance John au photographe de La Presse, en rasant le crâne de son client. « C’est bon pour les affaires ! »

Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ?

IMAGE FOURNIE PAR STATISTIQUE CANADA

Carte de la région de Montréal qui montre le pourcentage d’immigrants latino-américains dans les différents quartiers.

La première vague migratoire de la communauté latino-américaine remonte aux années 1960, au Québec. Combien sont-ils aujourd’hui ? D’où viennent-ils ? Voici quelques données tirées du dernier recensement, analysées par Statistique Canada à la demande La Presse.

173 000

Nombre d’immigrants latino-américains au Québec, en 2021, soit 2 % de la population. La grande majorité, 80 %, habite dans la région de Montréal.

25 %

Pourcentage d’immigrants latino-américains originaires de la Colombie établis au Québec depuis 1980. « Chez les immigrants récents, on voit apparaître, comme nouveau pays de provenance, le Venezuela et le Brésil », souligne Nicolas Bastien, de Statistique Canada.

78 %

Proportion des immigrants latino-américains établis au Québec qui sont nés à l’étranger.

25 000

Nombre de résidents non permanents latino-américains, en 2021, au Québec ; 35 % sont mexicains et 25 %, colombiens.