Le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), Gilles Courteau, a reconnu, dans un témoignage sous serment en 2021, avoir constaté depuis 45 ans des « problèmes » liés au bizutage dans son organisation. Une version qui diffère du témoignage qu’il a livré la semaine dernière en commission parlementaire à Québec.

M. Courteau a été interrogé par la partie défenderesse dans le cadre d’une demande d’action collective qu’ont intentée trois ex-joueurs en 2020 contre la Ligue canadienne de hockey. Il a ainsi fourni un long témoignage, dans lequel il explique notamment l’engagement du circuit qu’il dirige à l’égard de la sécurité des joueurs.

Dans sa déclaration datée du 1er novembre 2021, il « reconnaît » qu’au cours de ses « 45 années dans la LHJMQ », « il y a eu des problèmes liés au bizutage ». Ces problèmes, poursuit-il, tirent leur source de la conduite des « individus » qui les ont perpétrés et d’« équipes spécifiques de la LHJMQ ». Ces personnes et ces équipes, juge-t-il, ont agi de manière « inappropriée, loin des attentes et des standards » de la ligue.

Avant de prendre la tête de la LHJMQ en 1985, M. Courteau a passé 10 ans à occuper des emplois au sein de différentes formations.

Je condamne ce comportement. Quand les problèmes sont survenus, nous les avons pris sérieusement et les avons réglés, notamment en implantant de nouvelles politiques et des programmes obligatoires à l’échelle des équipes et de la ligue.

Le commissaire de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, Gilles Courteau, dans une déclaration datée du 1er novembre 2021

En commission parlementaire, la semaine dernière, M. Courteau a été autrement plus circonspect. « C’est beaucoup plus agréable d’être joueur de la LHJMQ aujourd’hui que ça ne pouvait l’être il y a 20 ans », a-t-il convenu.

Or, lorsqu’interrogé sur les cas « scabreux » révélés dans le hockey junior canadien au cours des dernières semaines, il a assuré qu’« aucun cas rapporté » auprès de la ligue n’était « similaire » aux actes violents décrits dans une récente décision du juge Paul Perell, de la Cour supérieure de l’Ontario.

Ce document, mis au jour par Radio-Canada à la mi-février, révélait des cas d’agressions sexuelles, de violence physique et psychologique ou de séquestration, entre autres, dans la Ligue canadienne de hockey, entité qui regroupe les trois principaux circuits juniors du pays.

« Est-ce qu’il y a eu des cas d’initiations scabreuses, douteuses, l’autre bord de la ligne, qui sont montés à votre connaissance depuis que vous êtes là et dans les dernières années ? », lui a demandé le député Vincent Marissal en commission parlementaire.

« Dans les dernières années, non. Quand on a été mis au courant de quelque chose, on est intervenus immédiatement », a rétorqué M. Courteau. Jamais il n’a fait écho à sa reconnaissance du bizutage dans le circuit depuis qu’il est à son emploi. Pas plus qu’aux « équipes spécifiques » qu’il ciblait, sans les identifier, dans son témoignage de novembre 2021.

Un joueur de la LHJMQ parmi les victimes

Par ailleurs, les déclarations sous serment déposées dans le cadre des procédures devant le juge Perell montrent qu’un joueur de la LHJMQ, Stephen Quirk, aurait été victime d’abus sexuels lors de son passage dans la ligue entre 1995 et 1998.

Devant la commission parlementaire, Gilles Courteau avait déclaré qu’« aucune des situations énumérées [dans le texte initialement publié par Radio-Canada sur le jugement Perell] n’impliquait une équipe de la LHJMQ ». Relancé sur cette question dans une mêlée de presse, M. Courteau a ajouté qu’il n’y avait aucune « connotation sexuelle dans ce qui est énoncé dans son affidavit [celui de Quirk] ».

Or, le témoignage de Quirk, qui a joué à Moncton et à Halifax, montre le contraire, comme l’a soulevé le chroniqueur Martin Leclerc de Radio-Canada, lundi matin.

Dans sa déclaration assermentée et publique, qui n’a pas encore été testée devant les tribunaux, Stephen Quirk indique avoir subi « des abus » qui ont « eu un impact sérieux » sur sa vie entière. « Ces expériences m’ont traumatisé et ont changé qui je suis », est-il écrit dans la déclaration sous serment.

Le joueur raconte notamment que, lors de la soirée d’initiation de l’équipe, les joueurs recrues ont été tour à tour conduits dans une pièce du Colisée de Moncton, les yeux bandés. « On m’a déshabillé. J’ai dû boire deux bières aussi vite que possible. On m’a couché sur une table et tous mes poils pubiens ont été rasés », peut-on lire dans la déclaration sous serment.

Les vétérans auraient ensuite appliqué une crème chauffante aux endroits rasés. « Ils ont pris du Rub A535 et en ont mis dans mon anus en me pénétrant avec leurs doigts », ajoute Stephen Quirk, qui dit ignorer combien de personnes participaient à l’initiation puisque ses yeux étaient bandés.

Il affirme toutefois que d’autres recrues auraient été amenées dans le même local et qu’il les aurait entendues crier. Il décrit l’expérience comme « choquante, douloureuse et extrêmement humiliante ».

« Mes années dans le hockey junior m’ont abîmé »

Dans sa déclaration sous serment, Stephen Quirk indique que lors de longues sorties en autocar, les recrues de son équipe devaient s’entasser, nues, dans les toilettes. « Il y avait six à sept d’entre nous là-dedans », estime-t-il. Il dit avoir vécu l’expérience au moins cinq fois, alors que des adultes étaient assis à l’avant du véhicule.

Toujours durant des sorties en autocar, Stephen Quirk mentionne que des vétérans lui ont parfois demandé de raconter les détails de ses expériences sexuelles pendant qu’ils se masturbaient autour de lui.

Il affirme avoir gardé ces évènements pour lui pendant des années, ne voulant pas « avoir l’air de passer pour un faible [pussy] ». Il dit avoir développé des problèmes d’alcoolisme et de boulimie depuis sa première année dans la LHJMQ. « Mes années dans le hockey junior m’ont abîmé », résume-t-il.

Gilles Courteau n’a pas souhaité réagir aux divergences soulevées par La Presse entre ses déclarations passées et récentes, pas plus qu’il n’a souhaité commenter la confirmation de l’existence d’abus sexuels dans des initiations de la LHJMQ.

L’opposition déplore la fin de la commission parlementaire

Le député Vincent Marissal, de Québec solidaire, a réitéré sa demande à la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale de poursuivre ses travaux sur les dérapages observés dans les initiations au hockey junior. La semaine dernière, le comité parlementaire a interrompu sa consultation après seulement quelques heures de travaux. Les députés caquistes qui y siègent ont refusé la demande de l’opposition de prolonger le mandat pour entendre d’autres témoins. À la lumière des plus récentes révélations, lundi, M. Marissal a relancé le président de la Commission par le truchement d’une lettre. En entrevue au 98,5 FM, le libéral Enrico Ciccone, lui-même ancien joueur de la LHJMQ, a abondé dans le même sens.